Dans ce numéro 4[1], certes nous reprenons le fil de la précarité alimentaire mais nous regardons surtout les issues possibles pour l’ensemble des habitantEs. Il est constitué de trois parties : une première avec des articles issus de la recherche académique engagée. La deuxième concerne des articles issus d’expérimentations portées par la recherche institutionnelle et des professionnelles de l’action sociale. La troisième centrée autour de recensions d’ouvrages.
Nous partons de la définition de la démocratie alimentaire comme étant la façon dont nous tous et nous toutes nous reprenons la main sur nos « assiettes » en connaissance de cause, à savoir les conditions de production de ces aliments à travers le ou les systèmes(s) alimentaires. La première partie aborde cela par le prisme du droit à l’alimentation.
L’article de Jonathan Peuch, docteur en droit et chargé de recherche à la FIAN International, Organisation Non Gouvernementale, dont le cœur est de défendre le droit à l’alimentation et à la nutrition, nous rappelle que « le consommateur n’est pas en mesure d’orienter le système alimentaire ». Il attire notre attention sur la façon dont le droit européen de l’alimentation délimite et encercle le marché de l’alimentation. En d’autre termes, nous n’avons peu, très peu de pouvoir quant à l’offre alimentaire et notre rôle de consommateur se borne à faire évoluer cette offre par des demandes de plus en plus individualisée concernant les segments de marché.
Le deuxième article est celui de Magali Ramel, elle aussi, docteure en droit. Son article « Accès aux droits et accès à l’alimentation » nous met face à la réalité de la non-effectivité du droit à l’alimentation en France et aux choix politiques de gérer la précarité alimentaire par l’aide alimentaire depuis le milieu des années 1980. Magali Ramel est chercheuse et a participé depuis plusieurs années à la réflexion concernant ce droit dans plusieurs instances et associations : Le Secours Catholique, ATD Quart Monde. Elle a co-présidé le groupe de concertation du Conseil national de l’alimentation qui a rendu l’avis n°91 « Prévenir et lutter contre la précarité alimentaire ».
Le troisième article « Vers une sécurité sociale de l’alimentation durable » nous expose le projet issu de la société civile et qui depuis 2019, nous propose une piste de sortie à la fois pour un accès universel à l’alimentation et une participation active à la transformation des systèmes alimentaires. Patrice Ndiaye, chercheur en droit public et Dominique Paturel, chercheuse en sciences de gestion, sont tous deux membres du collectif Démocratie Alimentaire, ayant participé à la construction du collectif Pour une Sécurité sociale de l’alimentation. Cet article a fait l’objet d’une contribution à la 24ème Université de Printemps de l’Audit Social (IAS) qui s’est tenue en mai 2023 à Tanger (Maroc).
La deuxième partie aborde des retours et analyses d’expérimentations. C’est le cas de l’article « Impact du Programme Bourse de la Famille sur l’insécurité alimentaire et nutritionnelle des familles brésiliennes » où trois chercheuses font une mata-analyses à partir de données issues d’un programme de recherche. Maristel Kasper, membre du comité de rédaction de la Revue est à l’Université de l’État de Minas Gerais, Passos, Minas Gerais, Brésil. Ses deux collègues ayant participées à la rédaction sont respectivement Nathalia Sernizon Guimarães, de la Faculté en Sciences Medicales de Minas Gerais et membre de l’OPENS (Observatoire de Recherche en Épidémiologie, Nutrition et Santé) ; Andrêa JF Ferreira de The Ubuntu Center on Racism, Global Movement, Population and Equity of Drexel University est également membre de l’OPENS. À la suite de cet article, Mariste Kaspar a interviewé une personne bénéficiaire de ce programme : Madame EC.
L’article suivant est issu du programme Passerelle qui s’est déroulé à Montreuil « Synthèse de l’expérimentation du dispositif « Passerelle » couplant transfert monétaire et orientation sociale individualisée » avec une réflexion orientée sur la place du travail social dans le projet. Les cinq auteurs et autrices sont respectivement Pierre Gallinari Safar et Marlène Pérignon de l’UMR MoISA Inrae, Emmanuel Cardinal de la Fondation de l’Armée du Salut, Massimo Hulot et Vigdis Gosset de l’ONG Action Contre la Faim.
La troisième partie s’ouvre avec un article de Cécile Fau, travailleuse sociale et qui a été responsable de l’Épicerie de Saint Fons dans la banlieue lyonnaise. Elle est aujourd’hui chargée de développement à l’UGESS (Union nationale des Groupements des Épiceries Sociales et Solidaires) Elle se pose la question Comment mener un accompagnement social de qualité dans le contexte actuel ? ; elle s’efforce à la fois de rendre compte des pratiques mises à l’œuvre dans cette épicerie et des issues possibles dans un contexte tendu comme celui d’aujourd’hui.
Suit une interview collective du CLAC, autrement dit du Conseil Local de l’Alimentation de Cadenet (84). Les citoyens et citoyennes de ce conseil sont des volontaires, habitant le territoire et qui se sont lancés dans l’aventure de l’élaboration d’une caisse locale de sécurité sociale de l’alimentation. Auparavant, ils et elles se sont forméEs à la compréhension de ce qu’est un système alimentaire ou ce que recouvre la démocratie alimentaire. Cette initiative a été mise en route par l’association « Au Maquis » et la recherche action par l’association Paroles Vives.
Puis une recension de l’ouvrage de Bénédicte Bonzi « La France qui a faim » nous est proposé par Nicolas Méndez Barreto, étudiant à l’EHESS dans le master Savoirs en Société, et plus précisément du parcours « Santé, Médecine et Questions Sociales ». Cette recension est suivie de deux autres, plus modeste, mais qui ne peuvent passer sous silence deux autres ouvrages assez fondamentaux des enjeux actuels concernant la démocratie alimentaire. Le premier est celui de Benjamin Sèze, journaliste et responsable éditorial au Secours Catholique qui publie une enquête minutieuse concernant l’aide alimentaire « Quand bien manger devient un luxe ». Quant au dernier ouvrage, il s’agit du Droit à l’alimentation durable en démocratie de Patrice Ndiaye et Dominique Paturel.
Nous ajoutons deux intermèdes qui sont la publication de deux numéros de la Gazette de l’Epi Vert, choisis par son autrice Marylin Chaumont, conseillère en économie sociale et familiale, directrice de cette épicerie solidaire situé à Caen. Son slogan c’est une aide alimentaire autrement, notamment par les choix de ses circuits d’approvisionnement en bio et un peu de vrac. C’est la seule épicerie solidaire que nous connaissons, qui par exemple, a fait un patient travail rigoureux autour des produits d’hygiène pour éliminer ou réduire, la majorité des produits ayant des additifs ou des substances nocives pour les êtres vivants. Il y existe un travail relationnel avec les personnes venant à l’épicerie, concernant les choix alimentaires sans imposition d’un régime alimentaire. En ce qui concerne les fruits et légumes frais, elle a, à ce propos tenté une expérience dont les résultats sont sans appel ; à la suite d’une subvention un peu plus importante, le conseil d’administration a décidé de redistribuer sous forme d’une allocation monétaire dédiée aux produits de l’épicerie, à tous et toutes les familles : aucun encadrement à la dépense de celle-ci, laissant à chacun et chacune la liberté dans ses choix. Cette allocation supplémentaire a permis la mise en place d’un marché de fruits et légumes de saison et où le constat a été clairement une augmentation de la consommation de ceux-ci. Lorsque cette allocation s’est arrêtée, le petit marché s’est arrêté net.
Enfin ce numéro 4 se termine avec notre rubrique « Le travail Social Radical » qui nous pousse aujourd’hui à penser que celui-ci est fondamental de la reprise en main par les professionnelles et les chercheuses en travail social, des métiers du travail. Cet article traduit par Anna Rurka, co-fondatrice de la revue, s’intitule « Radical social work ». Son autrice, Iris Cardenas, insiste sur le fait que les travailleuses et travailleurs sociaux ne peuvent pas se contenter de prendre en compte les situations d’un point de vue individuel. Si des personnes viennent frapper au bureau des actions sociales, c’est le résultat de facteurs systémiques qui ne peuvent être laissé dans l’ombre.
[1] Le comité éditorial de la revue Articulation(s) adopte l’écriture inclusive. La norme .e. est supprimée au profit du E ; cette demande fait partie des revendications des personnes ayant un déficit visuel.