Introduction
L’alimentation fait l’objet de plans, de recommandations, de dispositifs. Même si son inscription dans la loi et son apparition dans la dénomination du ministère de l’agriculture émerge à l’occasion de la loi de modernisation de l’agriculture de 2010, il est encore difficile aujourd’hui de considérer que celle-ci advient comme objet autonome dans le débat public. En effet, bien souvent encore, ce sont les effets qui sont discutés comme étant des causes (en particulier en invoquant les pratiques alimentaires individuelles au détriment des processus de fabrication de l’offre alimentaire), évitant ainsi de remettre en question profondément le système agroindustriel. Certes, des questionnements existent du côté des instances politiques de gouvernement, comme par exemple, la remise en question de l’alimentation industrielle (Prud’homme, 2019), le défi de la résilience alimentaire ou la précarité alimentaire (CNA, 2020), sur la place des agriculteurs et de l’enjeu de la souveraineté alimentaire (Le Feur, 2021) ainsi que la diversité des travaux sur les problèmes de santé lié à l’alimentation avec un volet spécifique « La santé par l’alimentation »1. Cependant lorsqu’on regarde de plus près qui sont les représentantEs politiques qui portent ces questionnements et dans quels réseaux sont-ils et elles inscritEs, nous constatons que leurs centres d’intérêts sont soit la profession agricole soit le lobbying de l’agro-industrie. L’alimentation est alors au service de leur projet politique et non comme situation globale à résoudre concernant nos besoins communs
Par ailleurs, cette approche par l’objet « alimentation » laisse de côté les rapports sociaux à l’œuvre : tant pour les acteurs du système alimentaire, que dans les rapports de classe.
1. L’enjeu de la politisation de l’alimentation
L’enjeu de la politisation de l’alimentation est donc nécessaire si nous souhaitons aborder, non pas la seule transition mais la transformation écologique. L’autonomisation par rapport à la politique agricole et une volonté de transversalité demeurent les éléments du processus de politisation, dans les traces du courant de l’alimentation durable pensé comme système : ce serait ainsi, rompre avec les cadres de pensée post-trente glorieuses synonymes de consommation déconnectée des conditions de production, de s’extraire des rapports sociaux où les acteurs agricoles et ceux de l’agro-alimentaires sont largement majoritaire dans les institutions chargées de la décision comme peut l’être le Ministère de l’Agriculture français ou la Direction européenne chargée de la PAC. Ces acteurs travaillent au fait que tout se discute et se décide à l’aune de leurs propres intérêts et peu de considération pour l’intérêt général. Nous choisissons de garder la qualification de durable pour deux raisons : la première comme dit plus haut nous nous inscrivons dans la définition de la FAO (2010) ; et la deuxième, parce que dans les différents ateliers « Croisements des savoirs » que nous avons menés, la notion de durabilité pour plusieurs familles ou personne à petits budgets, souvent qualifiées de « bénéficiaire de l’aide alimentaire », est synonyme de permanent. Pour eux et elles, cette durabilité fait partie de leurs soucis quotidiens pour continuer à accéder à l’alimentation par la seule proposition qui leur est faite, à savoir l’aide alimentaire. Nous sommes également conscients que ce terme de durabilité fait l’objet de pratiques de blanchiment écologique et peut porter à confusion sur l’interprétation de nos propos. Pour autant nous le conservons comme résultat du travail de recherches participatives et celui-ci évoluera ou pas, dans les recherches participatives futures.
Tant que l’accès ne sera pas égalitaire, solidaire et libre, les injustices demeureront quant aux conséquences sociales et sanitaires. Une des pistes est de se baser sur l’expérience du modèle de protection sociale que nous connaissons en France, à savoir le régime général de la sécurité sociale élaboré en 19452. À partir de ce modèle, nous pouvons penser une sécurité sociale de l’alimentation durable avec un accès universel et égalitaire à une alimentation reconnectée aux conditions de sa production. Il s’agit bien de reprendre la main sur le(s) système(s) alimentaire(s) par l’ensemble des habitants et des habitantes en France et d’être dans les conditions pour le faire. Pour autant, la réponse ne peut demeurer que du seul côté des citoyens et citoyennes « éclairé.es » ou militant.es. Les propositions actuelles type circuit-court, amap, groupement achats coopératifs, ou le projet d’agriculture paysanne de proximité concernent une minorité. De surcroît ces courants militants restent dans une vison généraliste du système alimentaire mondialisé3 et par exemple, soutiennent la filière de l’aide alimentaire par le biais de la sous-traitance au secteur caritatif. De la même façon, ces citoyens et citoyennes revendiquent une alimentation plus végétale et se donnent les moyens d’y accéder notamment en prenant eux-mêmes en charge le sourcing de producteurs bio de légumineuses, de céréales complètes et en assurent la logistique. Ils acceptent de contribuer à la fois sur des prix plus élevés et du travail gratuit. Ils développent autour de ces activités, un discours militant à propos du changement climatique et bien souvent du soutien à une agriculture paysanne et de proximité. Par leurs pratiques, ils estiment que le changement de régime alimentaire est possible ; certains vont même jusqu’à démontrer que se nourrir de cette façon revient moins cher et qu’il suffit juste de le vouloir. C’est d’ailleurs à partir de ce constat concret qu’ils pensent qu’il faut apprendre à cuisiner aux habitants des quartiers populaires et qu’ainsi ils diminueront leur consommation de viande.
Mais c’est ignorer la force de l’offre sur les pratiques alimentaires et les signes de reconnaissance sociale par les pratiques alimentaires. La place de la viande est prépondérante dans les repas et correspond au fait de s’approprier une denrée de façon quasi quotidienne, qui était jusqu’à la fin des années 1960, réservée aux familles bourgeoises. Si la consommation de masse a bousculé les codes par le biais d’un accès économique généralisé, elle n’en a pas effacé les symboles. De plus, c’est aussi ignorer l’offre de la viande halal via une multitude de boucheries installées dans les quartiers où logent les habitants à petits budgets et qui s’est développé sans faire de bruit depuis le début des années 2000 (Desert, 2021). Ces boucheries donnent accès à une viande moins onéreuse et s’adressent à l’ensemble de la population : ainsi la viande reste accessible. L’histoire politique de l’alimentation ramène à nos mémoires que la viande quotidienne nous a été imposée par le biais de l’offre de l’industrie de la production dite animale et relayée par les cantines d’entreprises et scolaires au nom de la bonne santé pour les hommes et les enfants.
La transition vers une alimentation plus végétale s’inscrit dans la continuité du mépris social qui s’exerce en direction des familles à petits budgets sans relier ces nouvelles exigences avec les rapports de classe. En effet, le système agro-industriel par son organisation tant de la production que du marché impose une offre alimentaire par le prix des denrées et en formatant les pratiques alimentaires (Frauenfelder, 2008). Pour autant cela ne remet pas en cause les travaux qui mettent en évidence le poids de l’agriculture et de l’alimentation (un tiers des gaz à effets de serre) dans le changement climatique et la nécessaire baisse de consommation carnée.4
2. Vers une sécurité sociale de l’alimentation durable
Un certain nombre d’associations de lutte contre la pauvreté et la précarité alimentaire, aujourd’hui, tente de s’organiser dans l’élaboration d’un plaidoyer pour un droit à l’alimentation. Cependant, ce plaidoyer ne remet pas en question le statut de l’alimentation. S’il est un peu tôt pour savoir ce qu’il en sera, nous avons tendance à penser qu’il s’agit plutôt d’une modernisation de la sous-traitance au secteur caritatif et au secteur de l’économie sociale et solidaire orienté vers le business social.
Aujourd’hui la transition alimentaire est essentiellement mise en œuvre du côté du changement des pratiques alimentaires des mangeurs. Mais l’alimentation étant considérée comme une marchandise comme une autre, à savoir soumise aux rapports de force existant dans le marché, la transformation ne sera pas au rendez-vous sans un changement radical de l’offre. De plus, le marché, dans sa forme capitaliste reste la référence incontournable.
La proposition de Sécurité Sociale de l’Alimentation durable (SSAd) qui s’appuie sur le régime général de la sécurité sociale, se situe dans une approche d’une économie populaire dont l’enjeu n’est pas la financiarisation au service de quelques-uns mais bien d’une économie au service de l’intérêt général. Le marché est alors un marché réel avec des marchandises réelles sans intervention de flux financiers, inséré dans des activités concrètes de production, de transformation, de distribution et de consommation.
2.1 Organisation de la Sécurité Sociale de l’Alimentation durable (SSAd)
Le fondement de la Sécurité Sociale de l’Alimentation durable est la reconnaissance d’un droit à l’alimentation durable inscrit dans la constitution française qui donnera un accès universel et égalitaire (Ndiaye, Paturel, 2020). En outre cette SSAd5 s’articule autour de deux enjeux démocratiques: une démocratie sociale et une démocratie économique qui forment ce que nous nommons le gouvernement des besoins d’alimentation durable. La démocratie ici s’entend comme la possibilité pour « n’importe qui » de participer de façon significative à la prise des décisions, sur la base du principe égalitaire « une personne, une voix ».
Figure 1 : La Sécurité Sociale de l’Alimentation durable
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Premier enjeu : une démocratie sociale
Son contenu est celui du gouvernement des besoins communs : leur définition, du dispositif réparti en « groupes locaux d’alimentation durable » (GLAD) à l’échelle des bassins de vie tel que défini par l’Insee. Le bassin de vie est le plus petit territoire sur lequel les habitants ont accès aux équipements et services les plus courants tels services aux particuliers, commerce, enseignement, santé, sports, loisirs et culture, transports
Plusieurs GLAD organisés dans des formes démocratiques diverses en se rassemblant constitueront les caisses dites locales de Sécurité sociale de l’alimentation durable et leur rôle est celui de hiérarchiser les besoins alimentaires et de décider comment y arriver.
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Deuxième enjeu : une démocratie économique
Il s’agit de définir le financement qui se base sur de la cotisation sociale calculée sur la valeur ajoutée des entreprises et du conventionnement des acteurs du système alimentaire, exactement comme le régime général de la sécurité sociale.
La démocratie alimentaire6 (à la fois comme concept et comme action) structure la synergie entre ces deux enjeux démocratiques.
Outre l’effectivité du droit à l’alimentation durable, l’organisation en caisses dite locale pose les questions de participation démocratique dans la gestion de celles-ci et doit s’appuyer sur la nécessaire présence de tous les acteurs du système alimentaire. Le gouvernement démocratique c’est-à-dire reprendre la main sur le système alimentaire et décider des orientations de filières ne peut se mettre en œuvre que si tous et toutes ont droit à la parole et en particulier de formuler des demandes. Le mode de représentation est à réfléchir car les mouvements sociaux récents comme celui des Gilets Jaunes ont amené des questionnements profonds sur la façon de penser la représentation en démocratie : représentants par le biais d’experts nommés, représentants par le biais d’élus d’organisations ou syndicats, organisation sous forme de mini public, etc.
Pour rappel, l’alimentation n’est pas seulement le résultat d’une production agricole ou de transformation agro-industrielle mais c’est de système dont il s’agit, qui prend en compte les quatre activités nécessaires à l’alimentation des humains de tout temps. Ce sont l’ensemble de ces activités qui forme système et les aborder de façon déconnectée soutient le modèle industriel, nous laissant dans une vision minimaliste de l’alimentation comprise alors comme denrée ou produit.
2.1.1 Démocratie Sociale
Nous définissons la démocratie sociale par l’appropriation de la définition politique des besoins de la vie ordinaire par toutes les habitantes et les tous les habitants. Celle-ci est concrète et s’appuie sur le réel.
Figure 2 : Démocratie sociale de la Sécurité Sociale de l’Alimentation durable
La démocratie sociale est donc concrète et pour ces raisons, nous n’avons pas retenu les échelles administratives (communes ou intercommunalité, département, région, etc…). Ces découpages s’inscrivent dans une histoire de mise en œuvre de pouvoirs locaux et de réseaux d’influences qui empêchent un changement démocratique. De plus, l’élection par le mode de représentation majoritaire évince systématiquement les populations à faibles revenus et ceux et celles éloignées des espaces publics. Notre choix se porte sur d’autres échelles qui nous paraissent plus proche du quotidien : les bassins de vie et les pôles d’équilibre territorial.
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Échelle locale « Bassin de Vie » : Le bassin de vie est le plus petit territoire sur lequel les habitants ont accès aux équipements et services les plus courants tels les services aux particuliers, enseignements, santé, sports, loisirs et culture, transports et commerces. (Insee, 2016). Il y en 1663 répartis dont les ¾ sont en milieu rural7. À cette échelle, fondamentale pour la SSAd, nous proposons que les formes démocratiques soient diversifiées et en particulier nous privilégions la méthode des groupes de pairEs. Le groupe de pairEs permet à ceux et celles qui partagent des éléments communs dans un espace social dont ils et elles se reconnaissent, de construire les conditions d’expression dans un rapport de confiance et de liberté. Les groupes de pairEs sont utilisés dans une multitude d’approches en sciences humaines et l’objectif est d’élaborer ensemble des éléments faisant évoluer les savoirs et connaissances à propos d’un objet commun et en lien avec le groupe social. Par exemple, les groupes Femmes ont permis la construction des mouvements féministes, les groupes métiers font évoluer les règles professionnelles et les pratiques. Cette démarche est également utilisée dans l’éducation en favorisant l’apprentissage des élèves, ou en sciences médicales dans le soutien à des groupes rencontrant des problèmes de santé similaire. En utilisant cette modalité, nous ouvrons l’espace discursif à des groupes ou des personnes n’ayant pas ou peu l’habitude de s’approprier l’échange collectif et la parole politique.
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Échelle de coordination des GLAD : nous retenons le modèle des pôles d’équilibre territorial. Nous proposons que celui-ci se développe et respecte les caractéristiques des bassins de vie.
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Échelle nationale : notre proposition est que la caisse dite nationale soit construite comme une confédération des caisses dite locales. Ces missions seront : de garder la cohérence et l’application des décisions prises pour l’organisation des systèmes alimentaires durables locaux et leur intégration dans un système alimentaire durable national gardant la préoccupation systémique des systèmes alimentaires à l’échelle européenne et mondiale.
Les dispositifs démocratiques doivent croiser la représentation par des élu.es, le ou les mandat(s) impératif(s), la présence d’experts mandatés par les différentes organisations des acteurs et actrices professionnelles, la représentation des groupes de pairEs., le tirage au sort ou tout autre dispositif qui émergerait de la pratique des GLAD.
Nous insistons sur les groupes de pairEs qui consistent à ce que des personnes qui se reconnaissent dans une situation de vulnérabilité, puissent prendre le temps de définir leurs besoins et leurs propositions sans avoir la pression des rapports de domination exercés par les groupes « expert » ou les groupes dans une approche patriarcale.
Cette démarche de démocratie sociale cherche à ce que l’ensemble de la société française puisse participer à la définition des besoins alimentaires, condition pour que la transformation écologique soit partagée. Ainsi nous pensons que les groupes de pairEs respecterait davantage le point de vue des familles à petits budgets, des femmes et des enfants dont la présence est indispensable. En effet, nous pensons que la présence et les avis des enfants à partir de 7 ans sont fondamentaux comme utilisateur/rice futurE. De plus l’apprentissage collectif démocratique doit permettre de les intégrer au niveau des prises de décision. D’ailleurs nous souhaiterions que des expérimentations de « caisses de SSA » soient mises en œuvre dans des collèges, des lycées, des universités (et pourquoi pas dans des centres de loisirs, dans les temps périscolaires, etc.)
Le projet démocratique ainsi défini est celui d’une confédération démocratique et non celui d’une représentation d’une majorité. En effet, même si un groupe de population est minoritaire, il doit être représenté. Cette confédération démocratique se retrouvera à l’échelle nationale, embarquant toute la population. Pour autant, le lieu de décision reste celui des Bassins de vie c’est-à-dire les Groupes Locaux d’Alimentation Durable : les deux autres niveaux sont des niveaux organisationnels sous contrôle démocratique.
La démocratie économique repose sur la cotisation sociale8 et correspond à la partie du salaire versée aux caisses de sécurité sociale. Mutualisées, les cotisations sociales participent à l’accès universel à des produits alimentaires ou des services de restauration, permettant de rémunérer correctement l’ensemble des acteurs du système.
En outre, ces acteurs doivent être conventionnés pour à la fois être rétribués et accéder à l’alimentation. Dans la nature et le type de conventionnement, les choix de production, de transformation et de distribution sont issus des groupes locaux d’alimentation durable.
D’autres collectifs (Martin, 2021), chercheurs (Friot, 2012) ont développé la réflexion sur la démocratie économique qui n’est pas notre cœur de compétences.
Pour autant, nous pensons que des dimensions sont oubliées dans ces approches :
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Le pourcentage de la cotisation est évalué soit sur les salaires, soit sur la valeur ajoutée des entreprises. Cette théorie de la valeur concerne le travail lié à l’emploi et laisse de côté le travail gratuit dont la majorité concerne les activités domestiques (Jakse, 2021). Pour rappel, en 20129 l’Insee évalue le nombre d’heures de travail lié à l’emploi à 38 milliards d’heures et celui du nombre d’heures de travail gratuit à 60 milliards dont 65% sont effectuées par les femmes (Roy, 2012). L’équivalence monétaire basée sur le taux horaire du SMIC pour ces heures « gratuites, représentent environ 33% du PIB.
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Se pose alors la reconnaissance de la contribution du travail gratuit lié à l’alimentation, à savoir en moyenne 380 à 400h annuel par personne. Les questions de « paiement » de ces contributions, devraient se réfléchir : ces contributions économiques gratuites peuvent – elles être une forme des cotisations sociales ?
De surcroît, les prévisions économiques envisagent la baisse des gains de productivité et une croissance quasi nulle (Plane et all, 2023). Ce qui pose d’emblée la hauteur du financement et pousse à chercher des alternatives pour enclencher le processus de démocratie économique comme par exemple le fait de réfléchir en dehors du modèle dominant du marché dans sa forme capitaliste et de soutenir le marché dans sa forme de subsistance (Polanyi, 2011). Un des courants écoféministes incarné par les chercheuses allemandes Maria Mies et Veronika Bennholdt-Thomsen, dans un ouvrage traduit en 202210 rappelle que les femmes dans le monde entier, interviennent dans la construction de ces marchés concrets dont l’objectif est de répondre aux besoins de la vie quotidienne : alimentation, ustensile de cuisine, vêtements, meubles, etc. Ces marchés ont disparu dans les pays du nord à partir du modèle industriel intensif dont notamment celui de l’agriculture.
3. La création d’un service public de l’alimentation durable
La création d’un service public de l’alimentation durable, déployé aux échelles administratives, garantirait la mise au service de la sécurité sociale de l’alimentation durable, des dispositifs de politique publique existant. Cela peut paraître paradoxal au vu des éléments de démocratie sociale et économique mais nous pensons que ce serait un excellent outil de transition pour accélérer le processus de transformation. De plus, l’égalité entre les territoires est à prendre en compte du fait des diversités de production agricole liées à la géographie. Le premier confinement nous a montré l’interdépendance avec les autres pays européens et cette proposition de Sécurité sociale de l’Alimentation durable doit s’insérer dans une politique alimentaire européenne comme possible espace de souveraineté alimentaire, sans laisser de côté les liens avec les pays du Sud (IPES Food, 2019).
La mobilisation des outils de politiques publiques existants au service de ce dispositif participerait de cette accélération, notamment en soutien aux différents services « Alimentation durable » qui se sont créés ces dernières années.11Par exemple, en ce qui concerne la restauration collective publique, nous partons du constat que les lieux, le matériel et les compétences sont présents à travers la mise à disposition de quatre à cinq repas par semaine à midi : utiliser ces ressources « déjà là » en direction de la population habitant ou travaillant en proximité de ces équipements le soir et durant les weekend ends font partie des pistes possibles rapidement : on pourrait imaginer que lors du repas de midi à la cantine, on en profite pour acheter son repas du soir. Par ailleurs, nous pouvons mettre à profit ces demandes pour réorienter la production et la transformation en redirigeant l’offre alimentaire à l’échelle territoriale.
D’autres outils existent déjà et il s’agirait de renforcer leur cohérence au service de la Sécurité Sociale de l’Alimentation durable : en soutenant les marchés d’intérêts nationaux dans les régions pour approvisionner les villes et villages garantissant ainsi un accès universel à l’ensemble du territoire et les engager dans la transformation des compétences des intermédiaires ; en cessant de segmenter les plans incitatifs des collectivités territoriales (Climat, alimentation, urbanisme, etc..) et en recherchant comment les articuler, en orientant les achats de la restauration publique vers une diversification des denrées, en requalifiant les métiers liés aux activités de l’alimentation, en partageant en connaissance de cause la réalité des systèmes alimentaires, etc.
4. La création d’une allocation alimentation durable
L’élaboration d’une allocation alimentation durable (100 à 150€/personne/mois)12 pour tous les habitants et habitantes en France, soutiendrait l’accès à une diversification des régimes alimentaires. Celle-ci pourrait être attribuée dans un premier temps sans orientation, puis progressivement fléchée vers des denrées alimentaires respectant les enjeux de la SSAd. En outre, cette mesure fléchée progressivement, peut participer à la relocalisation d’une partie des activités des systèmes alimentaires locaux durables (Caillavet et al, 2021).
Dans cette période où la situation économique met à mal un grand nombre de familles, cette allocation permettrait de cadrer l’accès à l’alimentation en évitant d’assigner un sixième de la population à accéder à l’alimentation via l’aide alimentaires. Les études sur l’aide alimentaire montrent toutes qu’une fois ce processus enclenché, pour la majorité des familles il est difficile d’en sortir. L’octroi de cette allocation sans fléchage sur deux années, puis orientée vers les produits frais permettrait l’apprentissage de changement de régimes alimentaires. Cette allocation sera, en même temps, un moyen pour les acteurs du système de faire évoluer l’offre selon des cahiers des charges respectant la voie vers la transformation écologique.
Par ailleurs, l’alimentation pourrait jouer un rôle préventif en matière de santé publique. Aujourd’hui, les maladies chroniques dans lesquelles l’alimentation joue un rôle, sont abordées d’un point de vue curatif. Certes, il ne s’agit pas d’arrêter la prise en charge médicale mais de proposer une vision différente : utiliser l’approche systémique et ainsi intervenir en amont avec une politique de prévention, et pas seulement curative comme actuellement.
Conclusion
La Sécurité Sociale de l’Alimentation durable doit s’appuyer sur l’ensemble de ces éléments pour asseoir sa légitimité.
La SSAd rend visible la nécessité d’une politique de l’Alimentation durable entendu comme une politique des systèmes alimentaires. Celle-ci doit se désencastrer de ministères de tutelles comme l’agriculture, la santé ou la cohésion sociale. Il ne s’agit pas de créer un énième ministère mais bien de comprendre cette politique comme transversale. Cependant dans un pays centralisé comme la France avec des institutions verticales, une politique transversale a de fortes chances d’être minorée. D’où la proposition de doter cette instance de moyens conséquents et d’obliger les politiques engageant une des activités du système alimentaire à s’inclure (pour partie) dans la politique alimentaire et non d’œuvrer de façon segmentée : la Sécurité Sociale de l’Alimentation durable devient alors l’outil majeur pour actionner la transition et la transformation alimentaire.
Élaborer un tel dispositif permettrait de faire exploser le « plafond de verre » auquel se confronte une multitude d’initiatives issues de la société civile organisée et de l’économie sociale et solidaire. La Sécurité Sociale de l’Alimentation durable, participerait réellement à la transition et la transformation écologiques, en respectant les hommes et les femmes et les générations à venir. Ainsi celle-ci, en appui sur ce que nous avons défini comme démocratie alimentaire produit de la valeur aux activités du système alimentaire qui, de fait, deviennent non capitaliste avec la promotion d’une économie sociale et populaire.
Bibliographie
Caillavet, F., Darmon, N., Dubois, C., Gomy, C., Kabeche, D., Paturel, D Perignon, M., (2021) Vers une sécurité alimentaire durable : enjeux, initiatives et principes directeurs.[En ligne] https://tnova.fr/societe/alimentation/vers-une-securite-alimentaire-durable-enjeux-initiatives-et-principes-directeurs/
Conseil National Alimentation (2020) Avis n°89 : Retour d’expérience de la crise covid-19. Période du premier confinement national.[En ligne] https://cna-alimentation.fr/wp-content/uploads/2021/07/CNA_Avis-89_Chronologie.pdf
Desert, A (2021) Marché du halal : tendances et chiffres clés. Un marché difficile à estimer mais à fort potentiel. [En ligne] https://www.toute-la-franchise.com/vie-de-la-franchise-A32466-marche-du-halal-tendances-et-chiffres-cles.html
FAO (2010) [En ligne] https://www.fao.org/nutrition/education-nutritionnelle/food-dietary-guidelines/background/sustainable-dietary-guidelines/fr/
Frauenfelder, A. (2008) Consommations de viande, distinctions et régulations sociales. Carnet de bord, n°15.[ En ligne] https://www.unige.ch/sciences-societe/socio/carnets-de-bord/pdf/15_158.pdf
Friot, B (2012) Un droit fondateur de la démocratie économique, in revue Le Sujet dans la Cité, n°12, p 92-107.
IPES Food (2019) Vers une politique alimentaire commune pour l’Union Européenne. Les réformes et les réalignements nécessaires pour construire des systèmes alimentaires durables en Europe. [En ligne] https://www.ipes-food.org/_img/upload/files/CFP_ExecSummary_FR.pdf
Le Feur, S. (2021) Rapport La souveraineté alimentaire, perspectives nationales, européennes et internationales.[En ligne] https://www.sandrine-lefeur.fr/wp-content/uploads/2021/10/Rapport-Souverainete-alimentaire.pdf
Martin, T (2021) Les effets de la proposition de Sécurité sociale de l’alimentation sur les budgets alimentaires des ménages selon leur niveau de revenu. [En ligne] https://securite-sociale-alimentation.org/production/securite-sociale-de-lalimentation-et-budgets-alimentaires-des-menages/
Mies, M., Bennoldt-Thomsen, V. (2022) La Subsistance. Une perspective écoféministe. Editons La Lenteur
Ndiaye, P., Paturel, D (2020) Le droit à l’alimentation durable en démocratie. Nîmes : Champ Social. [En ligne] https://champsocial.com/freebook-Le_droit_l_alimentation_durable_en_d_mocratie,1168.pdf
Mathieu Plane, Elliot Aurissergues, Bruno Coquet, Magali Dauvin, Ombeline Jullien de Pommerol et al (2023). Sous la menace du chômage : Perspectives 2023-2024 pour l’économie française. OFCE Policy Brief, 121, 24 p. hal-04248208
Polanyi, K. (2011) La Subsistance de l'Homme : la place de l'économie dans l'histoire et la société Paris, Flammarion.
Prud’homme, L (2018) Rapport sur alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l’émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance. [En ligne] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cealimindu/l15b1266-ti_rapport-enquete#
1 https://solidarites-sante.gouv.fr/systeme-de-sante-et-medico-social/strategie-nationale-de-sante/priorite-prevention-rester-en-bonne-sante-tout-au-long-de-sa-vie-11031/priorite-prevention-les-mesures-phares-detaillees/article/la-sante-par-l-alimentation
2 https://www.securite-sociale.fr/la-secu-cest-quoi/histoire/les-grandes-dates
3 En particulier, ils abordent la question essentiellement par la production agricole.
4 La consommation de viande baisse depuis une douzaine d’années chez les cadres comme les ouvriers. https://www.credoc.fr/download/pdf/4p/CMV300.pdf -
5 Ce schéma et la réflexion qui l’accompagne sur la SSAd est issu des travaux menés par le collectif Démocratie Alimentaire.
6 Voir la vidéo du collectif Démocratie Alimentaire https://www.youtube.com/watch?v=FTQellukLQ0
7 La moyenne d’habitants et habitantes au km2 est de 41 en rural et 345 en zone urbaine. Certains des bassins de vie ruraux peuvent envisager de se regrouper.
8 https://www.reseau-salariat.info/videos/la_cotisation_sociale_cest_ultra_puissant/
9 Seule et unique étude produite par l’Insee.
10 Il est d’ailleurs symptomatique que cet ouvrage soit traduit seulement maintenant alors que leurs travaux et de nombreuses publications datent des années 1990.
11 Ces services sont de bons exemples de création d’une préoccupation « politique » dans un contexte législatif où la compétence juridique en elle-même n’existe pas.
12 Cette allocation fait également partie du socle commun du collectif national pour une SSA https://securite-sociale-alimentation.org/