Dans l’optique de chercher de nouvelles pistes de réponse face à la précarité alimentaire et d’explorer ce que pourrait être une caisse d’alimentation commune dans le cadre du projet national Sécurité sociale de l’alimentation (SSA)[1], l’association Au Maquis[2]a décidé de mettre en place un conseil local de l’alimentation à Cadenet (CLAC), composés d'habitant.e.s désirant s’investir dans la réflexion concernant le ou les systèmes alimentaires de leur territoire de vie. Ce conseil local de l’alimentation serait la prefiguration d’une caisse de SSA, tout du moins dans le fait d’établir des critères de conventionnement auxquels pourraient répondre les acteurs/actrices du système alimentaire local. Cette étape fait partie d’une recherche-action menée conjointement par Au Maquis et l’association Paroles Vives[3] pour observer les processus démocratiques de gouvernance d’une caisse d’alimentation commune et analyser les changements engendrés par la gestion effective de celle-ci, respectant les principes et modes de fonctionnement élaborés dans le cadre des travaux des CLA.
DP: Qu’est ce que cela vous apporte ou vous amène de participer au CLAC?
Henri Bah moi je veux bien répondre; c'est vraiment de la politique en actes. Ça participe de sortir justement de derrière ses écrans, de rencontrer du monde, de se saisir d'un sujet qui nous dépasse, un truc plus grand que nous, sur lequel on maîtrise peut-être pas grand chose au départ, mais collectivement, on va apprendre des choses. Et puis on va finalement devenir des acteurs et puis des décisionnaires sur un sujet qui au départ, nous était un peu flou pour nous. Et ça se fait avec des êtres humains. Dans un lieu avec en plus des choses qui, subjectivement, sont chouettes, de manger des bonnes choses. Voilà, c'est çà.
Claire C’est le côté “rêve”. En fait, on est passé par une phase à un moment, de rêver à ce que cela pourrait donner en 2052. C’était la question. En fait on est dans la construction de quelque chose qui est complètement à contre-courant de ce qui se fait actuellement justement.
Et même si c'est lointain, qu'on sait pas encore par quel bout, enfin voilà qu'on est loin d'être arriver à nos critères de conventionnement. En fait, d'être dans de la construction d'un truc effectivement qui nous dépasse, mais qui est une proposition positive et pas d'être dans l'opposition à un truc qui nous arrive et essayer de venir en reaction. Là aussi, c'est une forme de réaction mais qui est sous forme de proposition et un peu de rêve quoi. Et ça, je trouve ça fait du bien parce que c'est pas souvent. On n’a pas souvent l'occasion d'être dans la création positive collective. Et comme ça, c'est chouette.
Les propos de Claire sont approuvés par toutes et tous les present.e.s.
Martine Moi j'ai un mot l'espoir, espoir, tout de suite à la première réunion, c'est ce que j'ai ressenti et c'est pour ça que je reviens et que je reviens.
Suzette Je suis d’accord avec Martine. Le travail de construction en commun pour un avenir qui me plaît et qui, est en accord avec mes valeurs et pour lesquelles je me défends, je me base sur plein d'autres sujets et avec beaucoup de positivité et pour le bien commun.
DP Est-ce que certains d'entre vous sont militants ou militantes dans des groupes politiques ou des engagements sociaux? Oui? Comme quoi par exemple?
Elisabeth Conseillère municipale et dans une association du village.
Régine Moi aussi.
DP Ok, d'accord. Est-ce que certains d'entre vous sont engagés dans des partis politiques? Dans un syndicat?
Réponse négative des participant.e.s
Claire La politique, ce n'est pas que le parti politique. C’est aussi la politique en actes comme dit par Henri.
DP Si j'ai bien compris ce que ce que vous dites, ce projet est quelque chose de positif, construit ensemble autour de quelque chose qui semble être commun: l'alimentation. Comment dans ce projet, vous voyez la question de la démocratie alimentaire. Tout à l'heure, vous parliez de conventionnement, qu'est-ce que cela peut être pour vous la démocratie dans un dispositif comme celui-ci?
Manon: Bah c’est déjà dans notre fonctionnement. Au début, on s'est donné des règles et c'est je crois, une des qualités de ce groupe; c'est qu'on arrive bien à fonctionner sans que ce soit trop compliqué. Et d'avoir un fonctionnement viable, on n’est pas tous au même niveau. Et après? Sur la mise en place, pour l'instant, on n'a pas trop creusé. Enfin un petit peu, mais on n'a pas creusé plus que ça encore.
Martine Moi je dirais que, au-delà du fonctionnement, c'est une valeur sur laquelle s'est construit le projet de SSA et donc le projet de notre groupe. Après c'est pas simple tous les jours effectivement, ça doit se construire. Moi qui suis une vieille, j'ai l'impression que je me retrouve après mai 68 où on a essayé ce genre de construction mais qu'on a abandonné, donc j'espère que cette fois-ci on les abandonnera pas.
DP Est-ce que tu penses que les obstacles, que tu as rencontrés après mai 68, ont disparu?
Martine Pas sûr. Mais peut-être. J’y vois, peut-être une force plus dans la durée qu'à l'époque. À l'époque, c'était un peu éphémère. Je l’ai ressenti comme ça.
Henri Moi personnellement, j'ai l'impression que la démocratie, elle est là, elle n’est plus à d'autres endroits. Moi ça fait quelques temps que je vote moins, voire pas pour certaines élections. Par contre, j'avais envie de trouver des lieux et dernièrement je cherche des lieux comme ceux-là où ils prennent des décisions et se discutent des choses qui, je l'espère, auront des conséquences directes sur nos vies. Mais voilà, pour moi, je mets plus, le curseur efficacité, s’il fallait, je sais pas, chercher un curseur d'efficacité politique, il est à mettre là et moins dans d'autres représentations de ce qu'on appelle démocratique.
DP Alors si on regarde la situation dans laquelle on est aujourd'hui, c'est-à-dire les systèmes alimentaires tels qu'ils existent aujourd'hui et en gros, sur lesquels on n'a pas la main. Comment vous voyez-vous la possibilité de reprendre la main sur nos systèmes alimentaires? Est-ce qu'est-ce que vous avez une idée d'échéance? Est-ce qu'est-ce que c'est des choses qu'on commence aujourd'hui? Est-ce que ce sont des choses qu'on fera plus tard? Voilà, c'est un peu ça l'idée. Comment vous voyez cela en tant que CLAC ?
Elisabeth: Axe fort dès le début quand on a fait toute la partie sur notre rêve en 2050, ça a été vraiment un des cœurs de ce qu'on voulait et justement de changer. Par rapport à d'autres, j’ai l'impression qu'on a peut-être un chouilla moins le volet social finalement. Enfin, c'est mon impression. Que le désir de vraiment faire se changer ce système agroalimentaire d'aujourd'hui qui est responsible de tous ces effets pervers. Et ça, on a vraiment et d'ailleurs, quand on réfléchissait au début sur nos critères, c'était vraiment cette optique là d'aller vers le mieux à tous les niveaux de la production. Donc j'ai l'impression quand on a eu le week-end à Pérols avec plein d'autres groups, que peut être d'autres ont moins cet aspect-là mais pour nous il me semble central.
DP: Est ce que tu peux préciser un petit peu plus ce que tu veux dire par cet aspect-là
Elisabeth: Cet aspect changement, c’est vraiment aller vers du mieux au niveau système agroalimentaire. C'est vraiment un axe très fort pour nous dès le début. Et j'ai l'impression que sur d'autres groupes qu'on a rencontrés à Peyrolles, ils sont moins axés sur ça. Certains sont plus axés sur l'aspect pour les populations en précarité, etc. Enfin, que leur entrée, c'est plutôt celle-ci. J'ai l'impression que nous, on l'occulte pas. Mais on avait vraiment cette envie là, que la moindre décision qu'on prend sur l'international et qui avait vraiment ça en ligne de mire.
DP: Mais pour vous, là maintenant, aujourd'hui c'est ça d'abord?
Elisabeth: Dans l’idée d’un projet pour 2052 le système qu'on a imaginé, c'est un système alimentaire hyper vertueux et résilient. C'est vraiment ça qu'on a en objectif. Et donc comment dans nos choix de SSA on peut choisir des choses pour aller vers ce sentier.
Pierre Sachant que ce système alimentaire en 2052, il y avait quand même une voie de chemin de fer, des arrivées de l'extérieur, on n'était pas auto-centré seulement sur la production agricole.
DP Est-ce que certaines d'entre vous ont participé par exemple, à des groupements d'achat, à des AMAP, à des épiceries sociales?
Martine Des AMAP , des groupements d’achats, oui
DP: Ok, et certains ont-ils jamais participé à ce type d’approvisionnement?
Pas de réponse
DP Cela veut dire que quand même, vous avez tous et toutes plus ou moins déjà expérimenté des formes d'achats autres que celui de la distribution classique.
Virginie Bien manger, c’est aussi se centrer sur le travail en amont et sur la manière dont c'est fait et comment, on s’y prend. Ce n’est pas d'esclavage, enfin je veux dire que les gens qui y travaillent soient aussi dans de bonnes conditions. Ça c'est important, c'est très important.
DP Est-ce, que, vous pensez que ce type de projet auquel vous avez réfléchi, dans lequel vous êtes impliqué aujourd'hui, on peut imaginer que des gens qui n’ont jamais expérimenté des achats comme ceux dont on vient de parler pourraient s'y impliquer. .
Elisabeth Là, c'est notre question justement. 20, 30 ou 40 cobayes, justement, comment faire pour aller chercher ce public là? C'est vraiment ce qu'on se creuse la tête depuis un petit moment là-dessus, puisque on constate que globalement, dans le groupe, on est tous des gens quand même sensibilisés à ça; et comment on fait pour aller chercher des gens qui n’ont jamais du tout touché à ça.
DP: Et vous avez des idées?
Tous et toutes: On vient d'en parler du coup,
Martine On se disait quand même que le fait qu'on apporte une aide financière concrète, ça va aider à convaincre des gens qui ont besoin de pratiques et que ça apporte quelque chose de concret dans leur vie par rapport à nous qui sommes plutôt des gens où ça nous apporte quelque chose plutôt intellectuellement. C'est le pari. On espère.
DP Qu'est-ce que vous avez comme pistes? Est-ce que c'est possible de les dévoiler?
Christine On parlait de l'épicerie; il y a effectivement une épicerie solidaire pour les plus démunis. On est en train d'entrer dans l’antre de cette épicerie solidaire justement pour effectivement, en parler aussi bien aux bénéficiaires, qu’aux bénévoles et pouvoir apporter quelque chose. On a dit qu'on allait faire un flyer qu'on distribuera. Et ça va être notre travail de cette semaine j'ai l'impression, et on a dit aussi qu'on ferait des réunions.
Odile On a parlé de faire des réunions périodiques à partir de septembre pendant un mois ou 2 ouvert à tout le monde. Après, comment on va faire venir les gens à cette reunion: par nos flyers. On va essayer aussi autour de nous. On a parlé de faire des petits points avec une table devant certains commerçants, éventuellement l'épicerie, puisque on l’a gagné à la cause; ça sera plus facile que devant chez le boucher. Maintenant ceux qui vont chez l'épicier, ils vont chez le boucher aussi, donc une pierre, 2 coups et puis de distribuer les flyers et en même temps d'argumenter.
Suzette De la petite BD qui est super justement la petite BD “Encore des patates”[4] Voilà un défi
Odile En fait, on en parle autour de nous et nos amis pour que ce terme sécurité sociale, il rentre dans la tête des gens et que le jour où on veut provoquer des réunions, ça soit un oui; et, on a un peu listé des endroits. Il y a donc la fameuse épicerie. On a parlé des jours où il y a des concours de boules, le bar, des boules, là où on a fait la réunion, il y a des marchés.
Il y a 2 semaines, on a parlé de la sortie des écoles. Voilà et aller vers les personnes âgées bon. Et toi tu as déjà bien travaillé le club de foot?
Pierre Oui oui et on verra en septembre comment on continue.
Odile On aura un stand à la foire des associations de septembre.
Morgane Dans les outils de communication, juste tract, flyer, tout ça. Nous, on avait fait aussi les cartes vitales. Et ça, quand nous on avait fait les recrutement justement à cadenet, c'est l'outil qui nous aurait manqué en fait. Parce que quand les gens voient une carte vitale de l'alimentation, ils projettent immédiatement de quoi on veut parler. En fait, c'est impressionnant.
DP Qu'est-ce que vous pourriez donner comme conseil aux travailleuses sociales et travailleurs sociaux, autour d'une démarche comme celle-ci.
Martine Des travailleurs sociaux qui s'impliquent. Les jeunes travailleurs sociaux, c'est vraiment dur qu’ils s'impliquent, ça devient des fonctionnaires.
DP Les jeunes travailleurs sociaux, ils sont comme tous les jeunes; beaucoup d'entre eux sont dans plein de luttes. Il y a l’écart entre leurs missions et qui ils sont mais finalement sur des projets comme ça, si vous aviez à conseiller les travailleurs sociaux de votre secteur parce qu'il y en a un certain nombre, qu'est-ce que vous pourriez leur dire?
Tous et toutes: Pas de réponse, un grand silence
DP Est ce que vous pourriez leur dire, ce que vous êtes en train de faire? Pour expliquer votre demarche et peut-être les enrôler dans votre projet.
Manon Peut être. Pour commencer une discussion de discuter avec eux des gens avec qui ils travaillent. Quel type de produits, ils imagineraient. Ils essaient de voir comment eux, dans leur travail, quel type d'alimentation ils auraient besoin. On pourrait rentrer dedans et ça serait peut être un premier prétexte ou première accroche pour discuter avec eux de la démarche.
Elisabeth De la démarche. Oui, parce que la difficulté j'imagine, parce que c'est vraiment nouveau je connais pas. Peut-être la difficulté, c'est de comprendre la différence par rapport à l’aide alimentaire; parce que en première discussion, quand on discute avec quelqu'un, des fois c'est Ah, c'est encore une aide. Une aide sociale en plus, donc peut être le premier truc à faire, ça serait de leur faire comprendre la différence avec l'aide alimentaire. C'est pas une aide en plus.
DP Est ce que vous connaissez les travailleuses sociales de votre secteur? Par exemple, leur proposer une réunion et discuter avec eux.
Christine C’est ce qu’on veut faire avec l'épicerie solidaire.
Tous et toutes: Ce ne sont pas des travailleurs sociaux.
Henri Et c’est plutôt une bonne nouvelle.
DP Il doit y avoir des éducateurs avec des prises en charge éducatives par exemple. Avez vous des travailleurs sociaux indépendants ici? La Mutualité Sociale Agricole (MSA)?
Bon, si je comprends bien vous n’avez pas ou vous ne connaissez pas les travailleurs sociaux du coin.
Nadia La MSA a abandonné plus ou moins le travail social.
DP Oui mais justement ils se sont recentrés sur des missions en particulier, comme celles de l'alimentation. C'est pour cela que je pose la question.
Martine Au début on avait l’AS de la MSA. Elle est venue à 2 ou 3 réunions et puis après, on ne l’a plus vue.
Morgane On a, par ailleurs, de très bonnes relations avec divers services de la MSA
DP Je voudrai terminer par une question sur le genre. Le constat c’est que nous sommes beaucoup de femmes sur cette question d’alimentation. Du côté de la recherché, on est majoritairement des chercheuses dès qu'on travaille sur l'alimentation comme élément de la vie ordinaire. Dès qu'il s’agit de process ou de production, ce sont nos collègues masculins qui sont présents. Ma question, c'était justement du point de vue de votre expérience du CLAC, comment vous pensez que vous pourriez faire pour la partager avec les hommes? Je ne parle pas de ceux qui sont avec vous, ceux-là, ils sont convaincus. Mais peut-être même vous aussi, Messieurs, comment vous pensez que les autres hommes pourraient venir? Est-ce que c'est un sujet que vous avez déjà abordé ?
Edwige Dans ma vie, quand j'avais encore mes enfants, on allait au supermarché. Pour faire les courses depuis qu'on n'est plus que 2, je fais les courses dans le village. Et mon mari comprenait pas pourquoi j’allais chez le boulanger, chez le boucher; moi je parlais de proximité, à l'époque j'étais pas encore au clac. Donc voilà.
Et finalement, depuis que je suis au CLAC, il est intéressé de ce qui se fait ici. Aussi, c'est lui qui va à la boutique de producteurs. Voilà, c'est super. Après effectivement bah c'est vrai je lui en parle, on en parle à la maison. J'en parle aussi à des copains. Donc voilà clairement ça l'a fait réfléchir.
DP C'est intéressant. Et vous? Qu'est-ce qui se passe avec les hommes? Pour l’alimentation.
Pierre Ben moi j'en parle beaucoup à mes collègues du football et franchement, c'est un sujet de conversation qui est devenu central. Pendant des années, on recevait des équipes une fois par mois, on fait un petit match etc. C'était pizza machin truc et depuis cet automne, maintenant, c'est un repas; on prend l'après-midi à cuisiner ensemble pour recevoir les gens. Le soir, c'est devenu un petit rituel dans le club.
Nadia Foot, c'est une bonne porte d'entrée masculine finalement.
Pierre Finalement les hommes adorent cuisiner. Mais en fait il y a aussi une construction mentale de la famille avec les femmes qui prennent cette responsabilité. Mais en fait, quand on leur pose la question aux hommes. Et ben on aime ça aussi, on a envie de le faire et j'irai même jusqu'à dire que potentiellement une grande part n'arrive pas à trouver leur place là-dedans alors qu'ils aimeraient bien l'avoir.
Elisabeth Est ce que le CLAC a une place là-dedans? Est ce parce que tu as commancé à leur parler de ce qui se faisait ici?
Pierre Non, non c'est plus la discussion. Je leur parle de temps en temps de SSA. En fait, c'est aussi d'être avec vous depuis un an et demi là qui me fait me rendre compte qu'on peut parler aussi de l'alimentation. Moi j'ai appris énormément de choses depuis un an et demi avec vous.
Martine Ce soir on est peu. Habituellement, il y a le double. Et au moins 4 hommes.
Henri Je sais pas. J'ai du mal à avoir une réponse sur ça. Après moi, je suis libraire, je ne suis pas une libraire et je fais un métier que majoritairement font des femmes. A la librairie, clairement je vois essentiellement des femmes. Non mais c'est vrai. Voilà donc c'est un peu décalé. Moi je cuisine pas mal à la maison; c'est un truc qu'après dans mes relations masculines… j'ai pas l'impression de parler trop de ça, ouais. Je sais pas. Il y a un truc quand je parle de cette sécurité sociale de l'alimentation. Déjà, j'ai le sentiment que j'en parle essentiellement à des gens qui sont déjà impliqués dans des combats sociaux; c'est à dire que j'essaie quand même de le de l'amener quand je sens qu'il y a possibilité. Mais tout de suite je sens que je rentre sur un terrain politique et du coup il y a des gens qui ne sont pas prêts à parler de politique et ils ont encore moins envie de mélanger leur alimentation à la politique. Enfin je sais pas, y a un truc. Par contre ce que de toute l'expérience que j'ai ici et les discussions que j'ai depuis avec des gens autour de l'alimentation, c'est cette sensation de fossé avec des gens de toutes classes sociales. Moi j'ai été ingénieur donc je côtoie maintenant des gens qui ont suivi leur parcours d'ingénieur et donc qui sont qui sont à l'aise, qui continuent de faire leurs courses de manière. enfin moi je trouve ça dégueulasse; qui paradoxalement sont très angoissés pour leur santé mais ils font pas le lien entre ce qu'ils bouffent et ce fossé; entre “je suis hypocondriaque” “oh là tout me stresse” mais par contre “j'achète des trucs horribles” ça ils voient pas le lien. Donc c'est ce truc là, moi qui m'a qui m'a fortement marqué dernièrement. C'est ce rapport à l'alimentation qu'on entretient et sur lequel on est assez peu formé, peu éduqué; et comment ça devient un acte militant de se poser des questions sur qu'est ce qu'on mange. Alors ça devrait être quand même un peu la base, c'est ce qu'on ingère, c'est ce qui rentre dans notre corps, mais on est capable de se mettre plein de saloperies sur nous. Mais par contre je sais pas, on fait pas le lien avec nous voilà. Plutôt ça, du coup j'ai dévié un peu de la question du genre homme femme.
Virginie J'avais l'impression que peut-être les femmes avaient plus la capacité de rêver que vouloir changer radicalement les choses d’un point de vue militant. Peut-être changer des choses à court terme avec un accompagnement, les femmes, elles pourraient être plus… et c'est pas propre à l'alimentation ce que je voulais dire, c'est je ne suis pas sûre que moi, je suis dans une association sur les déchets et il n’y a que des femmes. Et les mots espoir et rêve, ce sont des mots que j’ai bien aimés; il me semblent plus orientés du côté des femmes.
DP: finalement quand il s’agit de vie ordinaire, ce sont surtout les femmes qui sont là.
Eva Finalement tu nous demandes comment attirer les hommes car en fait c’est politique tout çà. La politique çà parle plus aux hommes; mais nous on parle de politique, pas au sens du parti mais celle en actes; qui a des repercussions sur nos vies. La manière dont on fait nos courses et dont on s’alimente, çà a des repercussions sur toute la chaine. Est-ce que çà, çà parlerait plus aux hommes?
Pierre Vous voyez vachement l'alimentation comme un objet politique en fait.
Suzette Quand tu tires la ficelle de l’alimentation, tu tires tellement de choses. Enfin voilà, et donc du coup oui c’est extrêmement politique là.
Martine Quand on a été dedans, quand on est dedans, on le sait ça, mais je dirais 90 % de la population, ils ne s’en rendent pas compte.
Virginie Oui, mais je trouve que c'est assez facile, donc quand t'es dans la discussion hein et les gens, qui critiquent les agriculteurs. Et ben de dérouler le truc tu sais? Oui bah oui mais toi comment tu manges machin? Ah oui bah plein de gens, ils ont jamais pensé à ça mais du coup, mais comme ceux qui jettent à la poubelle et puis ne se posent pas la question ce qui se passe après. Tu tires ta chasse d'eau, tu ne penses pas à ce qui se passe après voilà c'est le lien. Chaque acte de ce qu'on fait à une conséquence. Et donc et l'alimentation, bah c'est pareil et çà concerne tout le monde
Manon Par rapport au genre aussi, bon les femmes elles allaitent, ou elles donnent le biberon. Elles sont dans l'alimentation dès le départ et dans le soin aussi. Et je me dis que c'est aussi une porte d'entrée ça dans la comprehension, dans justement ce soin politique; enfin, le soin, c'est le soin des humains, mais c'est aussi le soin... on va vite à la planète.
Je trouve que nous, par notre fonction, de mère, de procréer et d'alimenter on peut rentrer peut-être plus facilement dans la complexité de ces questions-là; ça veut pas dire que les hommes n'y rentrent pas, peut-être ils y rentrent d'une autre façon; nous c'est peut être très organique voilà.
Martine Mais on a voulu rejeter ces questions-là comment dire? On est, on était dans une société où on a tout ce qu'il faut, on n'a pas besoin de perdre du temps à faire à manger, à manger. On a été élevé comme ça et même la génération de mécréants a été encore un peu élevée comme ça. Je trouve que c'est que depuis quelques années que ça redevient complexe et que l'alimentation du coup retrouve une place. Mais même en travail social, l'alimentation, euh ça en faisait pas partie, sauf éventuellement envoyer à l'aide alimentaire. Y avait pas de d'éducation à l'alimentation hein? Encore que dans le dernier référentiel des centres d'hébergement et réinsertion sociale y avait quand même une page sur l'alimentation. Mais c'est récent, c'était pas une préoccupation parce que toute façon il y avait de quoi manger, de quoi éteindre sa faim à des prix de plus en plus compétitifs dans notre société. Je ne vois pas trop de differences homme-femme dans la préoccupation et dans l'entrée dans la préoccupation aujourd'hui.
Un grand merci à vous tous et toutes pour ce précieux échange.
Enregistré le 11 mai 2023