N°2 / La formation aux métiers du travail social : entre aspirations et injonctions

Appel à contributions - Pourquoi et en quoi le travail social est-il concerné par le changement climatique ?

Anna Rurka, Dominique Paturel, Robert Bergougnan

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Pourquoi et en quoi le travail social est-il concerné par le changement climatique ?

Les perturbations météorologiques et environnementales constatées chaque jour dans l’espace de nos vies quotidiennes, sont aujourd’hui, scientifiquement étudiées comme les effets du changement climatique accéléré à l’échelle planétaire (IPCC, 2021). Parmi les causes de ce changement, le rôle central des émissions de gaz à effets de serre, se conjugue avec de nombreuses pollutions de l’air, des eaux, des sols et sous-sols ainsi qu’avec des usages intensifs qui surconsomment les ressources minérales non renouvelables, appauvrissent les sols, assèchent les réserves d’eau douce et réduisent la biodiversité en causant la disparition de nombreuses espèces animales et végétales. Dans cette dynamique systémique, sous le concept d’anthropocène, le modèle intensif de croissance industrielle et technologique de l’activité des humains est désigné comme un facteur déterminant. De même, dans le contexte de pandémie actuelle de COVIS-19, des recherches démontrent les liens de causalités qui existent entre les transformations des éco-systèmes de vie produits par les humains et la propagation de nouveaux virus comme le SARS-CoV-2.

Ainsi les humains qui se trouvent aux origines de ces transformations, en subissent aussi des conséquences de plus en plus dures. 

La crise écologique, telle que nous souhaitons l’appréhender ici, dans ses dimensions politiques, sociales, économiques et environnementales, se traduit par des catastrophes naturelles gigantesques, des situations de pénuries ou de pollutions et des catastrophes industrielles ou agro-industrielles telles que celles de Fukushima, de la Mer d’Aral ou, des feux de forêts et des inondations répétés. Elle est aussi marquée par des pandémies dont celle, actuelle, montre à la fois les effets de ces transformations profondes des écosystèmes et les nécessaires changements éco-sociaux à opérer rapidement.

 Ces situations ont des impacts violents sur des populations qui, selon les cas, se retrouvent sans ressources, sans abri ; perdent des proches ; sont atteintes de maladies graves et durables ; voient leurs activités disparaitre et leur espace de vie totalement transformé. Apparaissent ainsi des besoins de solidarité technique, sanitaire, économique mais aussi sociale, en urgence, à court et moyen-terme, pour les personnes et les groupes, victimes de ces évènements violents et traumatisants. 

Les institutions internationales alertent sur les causes et les effets des dégradations environnementales qui sont corrélées au niveau de revenu du pays et de la population. Selon le Conseil économique pour le développement durable (2013), « il semble donc que plus les individus ou les pays sont riches, plus ils dégradent un environnement qu’ils disent par ailleurs vouloir protéger davantage. Il y a simultanéité entre accroissement de la demande pour un meilleur environnement et possibilité de se procurer ce bien en transférant le coût des dégradations occasionnées aux plus pauvres, au sein des pays ou au plan international ».

Ainsi, cette crise affecte principalement l’équilibre démographique des Régions de l’hémisphère Sud et au-delà entraîne des conséquences vers le Nord. Il s’agit de migrations importantes qui soulèvent des questions d’accueil d’urgence et à plus long terme, de réunification des familles, d’accès au travail, au logement, à la nourriture, à l’eau, aux soins etc… Autant de sujets qui se trouvent régulièrement traités par des politiques restrictives des Etats qui exercent une pression sur l’aide humanitaire d’urgence nécessaire, comme celle portée sur les secours aux personnes migrantes, en mer et sur terre, ou sur les situation d’accueil pendant et après des périodes de régularisation administrative. Etats qui développent aussi des pratiques de tri entre réguliers et irréguliers, migrants et réfugiés, mineurs ou majeurs.

Ce modèle non durable du progrès (technologique, économique, financier), les relations de pouvoir inégales, la répartition et l'utilisation inégale des ressources, clés du système socio-économique néolibéral actuel, aggravent les disparités structurelles et influencent les conditions de vie de la plupart des individus pauvres et à faible revenu (Besthorn, 2012, Coates et Gray, 2013, Dominelli, 2012, 2013, Jones, 2010, Shaw, 2011). Mais aussi, la standardisation des modes de vies, urbanisés, dépendants de produits alimentaires et d’hygiène courante industrialisés, utilisateurs de machines et d’énergie, portent en eux les risques d’expositions à des pénuries passagères ou durables. 

Dans ce contexte, les professions du travail social sont directement interpellées sur les conséquences causées par la crise écologique, sollicitées pour améliorer les conditions de vie et le bien-être des personnes concernées. Mais se posent aussi des questions politiques et sociales sur les choix à opérer et les dynamiques humaines à mobiliser. Elles le sont aussi pour agir sur ce qui pourrait être le modèle démocratique d’orientation des pratiques et de décision politique. Ainsi, au-delà de la « gestion » des problèmes engendrés par les crises écologiques, le travail social se pose aujourd’hui  la question du rôle moteur qu'il peut jouer en s’attaquant aux racines du problème (Bethorn, 2012 ; Coates et Gray, 2012 ; Dominelli, 2012, 2013, 2014 ; Heinsch, 2012 ; Houston et Gray, 2015 ; Kemp, 2011 ; Kwan et Walsh, 2015), c’est à dire à l’injustice écologique.

L’OMS (2019) note que ces injustices mettent en exergue une absence de « justice distributive », car le niveau de risque environnemental est souvent plus élevé dans les groupes défavorisés de la population et une absence de « justice procédurale », car ces groupes n’ont pas les mêmes chances d’influencer les décisions qui concernent leur environnement proche, étant souvent victimes des injustices de genre, de classe sociale, de race, d’ethnicité et de lieu d’habitation. Ceci est confirmé par la recherche participative menée par ATD Quart Monde et l’Université d’Oxford (Godinot X, Bray R., Walker R., De Laat M., 2020) qui montre qu’une des dimensions cachées de la pauvreté se trouve en lien avec « la pollution et les politiques associées jusqu'à la misère urbaine et aux infrastructures publiques inadéquates » (Ibid, 2020). Ce dernier registre correspond aux préoccupations du travail social international qui plaide pour intégrer l'environnement naturel comme dimension de l'identité des personnes (personnes usagères et professionnel.le.s) afin de développer une réponse collaborative et intégrative face aux défis écologiques liés aux changements climatiques (Dominelli, Hacett, 2012). 

Le travail social radical comme posture 

Le travail social radical, développé dans les années 70 vise à agir face aux effets du capitalisme sur les individus qui se trouvent pris dans la spirale des problèmes créés, gérés et recréés par ce système. Le capitalisme, en tant que processus de production et d’appropriation des ressources et des richesses par une partie des classes dirigeantes et le néolibéralisme économique contribuent, à la fois, à la désagrégation sociétale et à la destruction-destabilisation éco-sociale, le tout en orchestrant l’exclusion des populations des décisions démocratiques en matière d’orientations écologiques et socio-économiques. Par conséquent, ces politiques font que le travail social devient un "partenaire du crime" dans la culture du silence de la justice sociale (Steyaert, 2013, Both et al, 2019).  Le travail social radical pose la question des continuités « le travailleur social de jour qui devient militant social de nuit ». Ceci dans la perspective de la définition internationale du travail social qui « … promeut le changement et le développement social, la cohésion sociale, le développement du pouvoir d’agir et la libération des personnes… »[1].

En étant considéré comme le fondement du développement de théories telles que l’approche anti-oppressive et la théorie du travail social critique, le travail social radical nécessite de comprendre l'oppression dans le contexte des structures sociales et économiques plutôt que d'attribuer les problèmes aux individus opprimés.  Cela conduit à accompagner la personne usagère dans la conscientisation du contexte social et politique intrinsèque à ses problèmes sociaux (Rogowski, 2017) et à s’opposer au discours interprétatif qui réduit la logique des droits à la logique des sur-responsabilités, la logique de solidarité à la logique de responsabilité des usagers des services sociaux en culpabilisant les classes populaires sur leur manque de savoirs et de compétences quant au changement climatique.

Le travail social radical implique, entre autres, le fait de situer des problèmes d'une personne usagère de services dans un contexte social et politique plus large. Face à l’injustice environnementale, cela revient à documenter "l'incapacité de la société à assurer la distribution équitable des ressources de la Terre pour répondre aux besoins humains, tout en assurant le bien-être des personnes et de la planète Terre aujourd'hui et à l'avenir » (Dominelli (2012, 2013), et la façon dont les travailleurs sociaux tentent de proposer des alternatives au modèle industriel non durable d’aujourd’hui.

Le travail social écologique et le Travail Social Vert (TSV) connectent le travail social aux défis du développement écologique durable dans une logique de transition éco-sociale. Articulés au travail social radical, ils encouragent à repolitiser le travail social, à valoriser " ses racines humanistes ", ses principes de liberté individuelle et de droits humains (Langan, 2011) avec une vision écosystémique (Bronfenbrenner, 1996) de l’être humain. Pour contrer l’injustice environnementale et plus globalement les injustices écologiques, le travail social est appelé non seulement à répondre aux conséquences des dégradations environnementales, mais à aborder les distributions inégalitaires du pouvoir au sein de la société. En outre, dans la perspective du travail social radical, la définition politique des besoins de la vie ordinaire et sa traduction en réponse concrète durable (Carimentrand et al, 2018) est vitale : comment se nourrir, se soigner, se transporter, se chauffer, se cultiver, etc…

Le travail social, dépendant depuis ses origines des logiques de croissance économique et technologique, de traitement des subsides, fruits de cette croissance, peut-il se repositionner ? Peut-il développer des approches socio-politiques basées sur des modèles de développement à la fois respectueux des ancrages écologiques et d’une démocratie sociale et économique attentive aux familles et personnes à petits budgets, aux femmes et à tous ceux et celles habituellement exclu.es des arènes publiques politiques, aux différentes échelles territoriales ?

A ce titre il est à noter qu’aujourd’hui, une dynamique articulant travail social et écologie existe à l’échelle Internationale,  avec des publications sur ce sujet qui sont produites par des auteurs (professionnel.le.s et chercheu/re/se) majoritairement anglophones. L’importance de développer des pratiques et des recherches en France sur cette démarche est un enjeu majeur qui permettra aux travailleur.euse.s soci.aux.ales exerçant en France de prendre une place sur ces questions fondamentales et  de faire entendre leur voix dans les débats nationaux et internationaux. 

Nous invitons donc les auteur.e.s à répondre à cet appel,  en proposant des articles qui mobilisent l’articulation entre les différentes dimensions d’écologie, du point de vue du travail social. La perspective du travail social radical serait un outil d’analyse bienvenu. 

Les axes thématiques visant à construire ce numéro sont les suivants :

  • Pratiques participatives à visée écologique, sociale et locale, réalisées par les travailleurs  et intervenants sociaux en France et à l’étranger.
  • Pratiques et projets articulant le travail humanitaire et social et le développement social et durable, se centrant sur la prévention et la résilience des personnes, en cas d’un choc écologique.
  • Démocraties sociale et économique liées à la vie ordinaire et citoyenne (par exemple initiatives réalisées avec la participation des travailleur.euse.s soci.aux.ales et des populations sur des territoires ruraux et urbains (alimentation, mobilité, énergie, santé…).
  • Formations à l’écologie et à la transition éco-sociale dans les écoles du travail social.
  • Recherches en travail social mobilisant les questions présentées dans l’appel.

Calendrier

  • Les auteurs et autrices sont invité.e.s à soumettre le résumé pour le 20 mars 2022.
  • Les articles finalisés sont attendus pour le 16 mai 2022
  • Un retour d'information sera envoyé au plus tard le 30 juin, pour d'éventuelles corrections à apporter avant le 30 août 2022.
  • La publication est prévue pour septembre 2022.

[1] http://cdn.ifsw.org/assets/ifsw_111716-6.pdf

Références  

Besthorn, F.H. (2012) Deep Ecology‘s contribution to social work: A ten-year retrospective. International Journal of Social Welfare, 21, 248-259. 

Bronfenbrenner, U. (1996). The ecology of human development: experiments by nature and design. Cambridge, Mass: Harvard University Press.

Booth, S., Coveney, J., Paturel, D. (2018), Counter crimes and food democracy: Suspects and citizens remaking the food system,in Handbook of Foods Crimes : Immoral and illegal practices in the food industry and what to do about them, A.Gray, R.Hinch (Eds), Policy Press, Bristol, 373-389.

Coates, J. and Gray, M. (2012) The environment and social work: An overview and introduction. International Journal of Social Welfare, 21, 230-238.

Carimentrand, A. Paturel, D (2018) Un modèle associatif de circuits courts de proximité pour les épiceries sociales et solidaires : vers une démocratie alimentaire ? Revue de l’Organisation Responsable, 13, 43-54.

Economic Council for Sustainable Development (2013). Environmental issues and social questions Why and how to link social justice and ecology? Economic References n°23 023 (ecologie.gouv.fr).

Diminelli, L., Hackett S., (June 2012 ). Social Work Responses to the Challenges for Practice in the 21st Century, International Social Work, 55(4), 449–453.

Dominelli, L. (2013) Environmental justice at the heart of social work practice: Greening the profession. International Journal of Social Welfare, 21, 431-439. 

Dominelli, L. (ed.) (2012) Green Social Work. From Environmental Crises to Environmental Justice. Cambridge: Polity Press. 

Dominelli, L. (2014) Promoting environmental justice through green social work practice: A key challenge for practitioners and educators. International Social Work, 57(4) 338-345.

Godinot X, Bray R., Walker R., De Laat M. (2020). The hidden dimensions of poverty International participatory research, ATD Fourth World - Oxford University.

Heinsch, M. (2012) Getting down to earth: Finding a place for nature in social work practice. International Journal of Social Welfare, 21, 309-318.

Houston, S. and Gray, M. (2015) Falling in love outwards: Eco-social work and the sensuous event. Journal of Social Work, 0((0)) 1.1.

IPCC, 2021: Climate Change 2021: The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Masson-Delmotte, V., P. Zhai, A. Pirani, S.L. Connors, C. Péan, S. Berger, N. Caud, Y. Chen, L. Goldfarb, M.I. Gomis, M. Huang, K. Leitzell, E. Lonnoy, J.B.R. Matthews, T.K. Maycock, T. Waterfield, O. Yelekçi, R. Yu, and B. Zhou (eds.)]. Cambridge University Press. In Press.

Jones, P. (2010) Responding to the ecological crisis: Transformative pathways for social work education. Journal of Social Work Education, 46(1) 67-84.

Kemp, S.P. (2011) Recentring environment in social work practice: Necessity, opportunity, challenge (2011) 41, 1198–1210. British Journal of Social Work, 41 1198-1210.

Kwan, C. and Walsh, C.A. (2015) Climate change adaptation in low-resource countries: Insights gained from an eco-social work and feminist gerontological lens. International Social Work, 58((3)) 385-400.

Langan, M., (2011). Rediscovering Radicalism and Humanity in Social Work. In: M. Lavalette, ed. Radical Social Work Today: Social Work at the Crossroads. Bristol: The Policy Press. Pp. 153-164.

OMS (2019) WHO/Europe | Air quality - Environmental health inequalities in Europe. Second assessment report (2019)

Paturel, D., Ramel, M (2017) Éthique du care et démocratie alimentaire : les enjeux du droit à une alimentation durable, Revue Française d’Ethique Appliquée, 4, 49-60.

Paturel, D (2018) Faut-il continuer à nourrir les pauvres ? L’accès à une alimentation de qualité comme enjeu démocratique pour le travail social. Revue Le Sociographe 62, 13-22.

Portillo, M. (2019). Qu’est-ce que le travail social vert et en quoi est-il pertinent aujourd’hui ? Forum, 157, 46-54. 

Rogowski S. (December 2017). Radical Social Work by Roy Bailey and Mike Brake: A Classic Text Revisited, Aotearoa New Zealand Social Work 29(4):97.

Shaw, T.V. (2011) Is social work a green profession? an examination of environmental beliefs. Journal of Social Work, 5, 1-27.

Steyaert, J., (2013). Radical Social Work. Available from: http://www.historyofsocialwork.org/eng/details.php?cps=24 [Accessed 15th December 2014]

 

[1] http://cdn.ifsw.org/assets/ifsw_111716-6.pdf

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