N°4 / L’accès à l’alimentation durable en démocratie : quelles perspectives pour le travail social ?

Réflexions à propos des épiceries sociales et solidaires

Comment mener un accompagnement social de qualité dans le contexte actuel ?

Cécile Fau, Épicerie Solidaire; Alternative Aide Alimentaire

Résumé

Les épiceries sociales et solidaires sont de possibles alternatives à l’aide alimentaire classique. Par la description du fonctionnement d’une épicerie sociale et solidaire située dans la banlieue est de Lyon, nous chercherons à montrer la richesse de ces structures.

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Les épiceries sociales et solidaires apportent une aide, principalement alimentaire, à des personnes en situation de vulnérabilité́ économique et/ou sociale. L’émancipation, le lien social, et l’accès à une alimentation de qualité́ et durable reste néanmoins des objectifs partagés par l’ensemble des épiceries. Dans un espace aménagé́ en libre-service, ressemblant autant que possible à un magasin d’alimentation générale, elles mettent à disposition des usagers des produits variés et de qualité́, moyennant une faible participation financière (en moyenne à 30% du prix usuel).

Dans ce lieu d’accueil et de convivialité́, durant une période limitée dans le temps (qui varie en fonction des épiceries), les personnes sont accompagnées par un travailleur social (embauché en propre par la structure ou mis à disposition par la collectivité) dans la définition et la réalisation d’un projet. Ce projet ne se veut pas contraignant, mais au contraire, il permet de déterminer une durée d’adhésion pendant laquelle la personne accueillie aura un appui pour mener à bien ce projet (résorption d’une dette, créer du lien sociale, ouverture de droit, changement de logement…). En parallèle, elles peuvent participer aux activités qui sont proposées au sein de l’épicerie (ateliers collectifs sur différents sujets : cuisine, santé, culture, permanences numériques…).

Une diversité de modèle se développe : le portage de l’épicerie peut être associatif comme institutionnel (portage par des CCAS), l’épicerie peut accueillir des publics en situation de précarité, elle est dite sociale mais elle peut faire le choix d’être ouvertes à tous, en accueillant des clients dits « solidaires », elle est dite sociale et solidaire.

Grâce à la mixité́ de publics accueillis et à la mise en place d’une double tarification, ces dernières élargissent leur offre alimentaire durable et de qualité́ et accentuent encore la non-stigmatisation des personnes fréquentant le lieu et favorise le faire ensemble.

Ce modèle solidaire constitue alors une réponse aux enjeux d’accès digne à une alimentation choisie, durable et saine, en accord avec les valeurs portées au sein de l’UGESS à plusieurs titres :

· En rendant effectif l’accès à une alimentation de qualité pour tous (liberté de choix, diversité de l’offre des produits, accompagnement des changements de pratiques) ;

· En contribuant à la transition écologique (développement des circuits courts, appui à la structuration de filières agricoles, promotion d’une alimentation durable) ;

· En renforçant le vivre ensemble (lutte contre l’isolement, rencontres, échanges) ;

· En développant la participation des habitants (pouvoir d’agir, montée en compétences / connaissances, participation aux décisions collectives, aux instances de gouvernance) ;

· Par son ancrage territorial, l’épicerie renforce le dynamisme social, soutien l’économie locale.

Les épiceries sociales et solidaires sont des lieux où les familles viennent pour acheter des produits alimentaires à moindre coût mais ce sont avant tout des lieux de rencontres, d’échanges, où sont proposés des ateliers pour sensibiliser à la question de l’alimentation comme vecteur de santé, de partage de savoirs, d’échange de compétences… d’émancipation, de reprise de confiance en soi, etc.… de véritables espaces pour prendre soin de soi et des siens.

Ainsi, les épiceries ont plusieurs particularités qui les démarquent de l’aide alimentaire classique : par le libre choix laissé à ses adhérents, par l’accompagnement social qu’elle propose, sous couvert de l’acceptation de la personne.

Cet accompagnement est le plus souvent mené par un travailleur social (Conseiller, CESF…) qui peut être embauché en propre par la structure ou mise à disposition par la collectivité. Il permet d’aborder les difficultés quotidiennes, qu’elles soient liées au fait de se nourrir, de manger à sa faim, de retrouver de la dignité via ce que l’on met dans son assiette, mais aussi de difficultés budgétaires, d’emploi, de soin, de logement, d’accès aux droits globalement… autant de frein à l’implication, à la participation tant recherchée des personnes concernées

Comment dans un contexte tendu, mener un accompagnement social de qualité face à une hausse du nombre des personnes, des problématiques des familles toujours plus compliquées et l’installation de la précarité sur le long terme ?

Aujourd’hui, les travailleurs sociaux ont de moins en moins de temps pour travailler ces questions en profondeur, par manque de temps, pour cause de financement, parce que les épiceries accueillent de plus en plus de familles qui rencontrent une pluralité de problèmes.

Ces difficultés s’inscrivent souvent dans le long terme, les solutions ne sont pas évidentes et nécessitent du temps. La précarité s’installe, usante, chronophage, et représente une charge mentale importante, empêchante : «je ne me permets pas de prendre du temps pour moi si je ne sais pas ce que je vais donner à manger à ma famille dans les jours qui viennent ».

Dans cette même logique, le fait de cuisiner n’est plus une question de savoir faire mais une question de temps et financière. En effet, le coût de l’énergie oblige les ménages à rationner l’usage de l‘électroménager, du four par exemple et privilégient la consommation de plats cuisinés pour réduire les factures de gaz et d’électricité.

 

L’épicerie de Saint-Fons, en banlieue lyonnaise illustre parfaitement cette approche systémique.

L’Espace Créateur de Solidarités est une association d’insertion sociale et socioprofessionnelle, qui est implanté sur Saint-Fons depuis 37 ans. Elle gère une épicerie sociale et solidaire, des jardins partagés, une recyclerie, une bricothèque et un accompagnement des bénéficiaires du RSA. Cette association touche environ 700 foyers tous les ans.

Au-delà de l’aide alimentaire, notre épicerie apporte une réponse globale dans l’accompagnement proposé aux habitant.es. Sa spécificité tient en premier lieu au fait qu’elle se situe dans un environnement associatif particulier, portée par l’ECS, qui aborde d’autres thématiques dans le quotidien des personnes accueillies :

- La Culture : action qui permet d’accompagner les habitants vers des sorties culturelles, individuelle ou collective et vers des pratiques artistiques, comme le théâtre, le dessin… autant d’ateliers proposés qui permettent de travailler sur l’estime de soi, le lien social, la reconnaissance citoyenne. Les sorties permettent également d’initier un travail sur la mobilité des personnes (lecture de carte, repère dans la ville, déplacement en transports communs…) ;

- Les Jardins partagés, projet en cœur de quartier pour cultiver collectivement ses légumes, se réapproprier les espaces communs, rompre l’isolement : rapport à la terre, à la culture, aux origines, à l’alimentation, aux pratiques éco responsables, mise en place d’ateliers thérapeutiques co animé avec les médecins de l’espace médical de la ville (permettre aux habitants d’accéder aux services de soins, de connaitre le personnel soignant et d’aller vers plus facilement, reprendre des parcours de soin…) ;

- Recyclerie/Bricothèque : lieu de réemploi, bricolage- amélioration du logement- développement de compétences techniques- sensibilisation éco citoyenne- changement des pratiques au quotidien ;

- Volet collectif de l’épicerie : santé (thématiques prévention santé au sens large), alimentation de meilleur qualité : choix des produits, échange de recettes, atelier cuisine légumes de saison et production locale, rencontre producteurs, prise de conscience et sensibilisation sur la démocratie alimentaire ;

- Permanences numériques : accès aux droits, lutte contre le non recours (CAF, préfecture, CARSAT, chèque énergie…), diagnostic global des situations et réorientation sur le droit commun (CCAS, MDM, médiation santé, maison de l’emploi…) via des canaux directs qui permettent aux usagers des accès facilités aux services et évitent des erreurs d'orientation.

Verbatim : « A l’épicerie, on rentre pour faire ses courses et on repart avec un légume dans le panier que l’on n’a jamais cuisiné, une fiche recette et les conseils du bénévole qui vont avec, une proposition d’atelier de bricolage pour retaper un meuble et un rendez-vous en préfecture »

Des ponts existent entre chaque activité (ex compost épicerie destiné aux jardins et géré par les adhérents, atelier cuisine avec légumes des Jardins de Cocagne (maraichage bio en insertion) ou des jardins de l’ECS, vente des légumes du jardin de l’association sur l’épicerie, présence de permanences cultures sur l’épicerie, permanence numérique au sein de la Casaline, stand de la recyclerie...). Ces liens facilitent le parcours des adhérents au sein de l’association. L’épicerie est une porte d’entrée pour les habitants à toutes les actions proposées et apporte donc une aide, une réponse, un soutien sur différents champs au-delà de la demande initiale d’aide alimentaire qui est souvent le premier motif d’orientation ou de passage à l’épicerie.

La présence des conseillères sociales à l’épicerie, pendant les temps de vente permet un accueil et un accompagnement formel ou informel des personnes accueillies. L’interdisciplinarité de l'équipe, ainsi que la pratique d'accompagnement individuel des conseillères ESF dans le cadre de l'accompagnement socio-professionnels de bénéficiaires du RSA est déterminante pour garantir une approche globale et apporter une réponse aux différentes difficultés rencontrées par les habitant.es.

La fréquence de participation (hebdomadaire) permet aussi une régularité, une grande proximité avec les habitants et a un impact sur la place que nous pouvons avoir dans leur quotidien (lien de confiance- facilitatrice dans la relation d’accompagnement). L’épicerie est un lieu d’échange et de « dépôt » des problèmes du quotidien qui ne peuvent être traités par ailleurs dans l’urgence (disparition du service public en présentiel, inaccessibilité du droit commun, délai de rdv trop long…). Au-delà du repérage, l'efficacité de l'orientation tient aux liens entretenus avec les différents services d'accès aux droits, liée à l'ancienneté de l'épicerie sur le territoire, et à des actions d'interconnaissance partenariales et institutionnelles.

Par ailleurs, les CESF et l'ensemble des professionnels de l'ECS interviennent sur plusieurs actions, ce qui permet de vivre avec les habitants des moments de convivialité qui enrichissent la relation d'aide et limite les rapports hiérarchiques « aidant-aidé » en partant toujours dans l’accompagnement des compétences et potentialités des personnes accueillies.

Accompagnement/ alimentation de qualité : Un accompagnement important, de proximité est mené sur le volet alimentaire. Conseils et échanges sur les produits proposés au sein de l’épicerie lors des temps de vente (idées recettes, provenance des produits, échanges de « bons plans » pour trouver tel ou tel produit moins cher/ local et de meilleur qualité entre adhérent.es bénéficiaires, solidaires, bénévoles, salarié.es). Richesse d’échanges clairement liée à la mixité de public et à une équipe diversifiée (bénévoles, service civique, salarié.es) et à la relation de confiance créée via l’accompagnement social porté par les CESF. Atelier cuisine/ dégustation « improvisée » de produits méconnus lors des temps d’ouverture de l’épicerie. Vente de paniers de légumes bio locaux des Jardins de Lucie : découverte de légumes méconnus, de recettes par la proposition d’ateliers cuisine autour de ces légumes.

Un accompagnement collectif avec intervention de partenaires locaux (JDL, diététitienne, médecins généralistes) sur des sujets principalement liés à l’alimentation traité sous différents aspects nutritionnel-éco responsable-budgétaire…etc. Sensibilisation à travers tous nos ateliers sur les pratiques alimentaires-conséquences sur la santé-impact environnemental de nos choix alimentaires qui peut mener à un changement sur la manière de s’alimenter et d’effectuer ses achats alimentaires. Les ateliers cuisines sont aussi l’occasion d’échanger sur les origines- le passé de chacun.e « interculturalité de l’alimentation » : échanges très riches- ouverture sur le monde via l’alimentation. Implication de certains de nos adhérents au-delà des ateliers sur des groupes de réflexion sur la démocratie alimentaire (exemple : expérimentation Territoires à VivreS en partenariat avec d’autres structures associatives et des agriculteurs locaux).

Redonner une place digne de citoyen à part entière par la possibilité de choisir et de ne pas être qu’un bénéficiaire de l’aide alimentaire mais aussi et surtout un adhérent d’une association qui participe à un ensemble d’activités. Un adhérent qui a le pouvoir/ la possibilité de choisir, donner son avis, découvrir, partager ses expériences, savoirs, savoirs faire, réfléchir (les bénéficiaires sont aussi pour certain.es bénévoles).

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Le Conseil Local de l’alimentation de Cadenet - Vaucluse

Dominique Paturel

Interview collectif réalisé le 11 mai 2023

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