Ecologie environnementale et travail social : rencontre forcée ou cohabitation de deux sphères intrinsèquement liées ?
L’écologie environnementale a pris une importance considérable durant la deuxième moitié du 20e siècle. Les consciences s’éveillent quant aux origines anthropiques des grandes catastrophes dans le monde, aux conséquences désastreuses qu’elles engendrent et à l’urgence d’y faire face, de se montrer écoresponsable. La conférence de Stockholm (1972), le Rapport Brundtland (1987), la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (CNUED, 1992), dont les agendas 21 sont issus, ont été tant de réponses face aux dangers du dérèglement climatique, qui ont contribué à diffuser le principe d’écoresponsabilité dans les manuels scolaires puis dans la formation des travailleurs sociaux en France. La rencontre entre les deux sphères que sont le travail social et l’écologie environnementale se fera-t-elle par la force des choses, avec les dérives que cela pourrait entrainer, ou sera-t-elle favorable pour les deux parties ?
Il semblerait que les enseignements à l’écoresponsabilité et au développement durable favorisent la construction d’une posture d’écocitoyen en invitant les personnes concernées à participer à la vie sociale, citoyenne et politique. La question à laquelle nous chercherons à répondre est la suivante : l’écocitoyenneté pourrait-elle être une des nouvelles figures de la participation citoyenne des personnes accompagnées dans le secteur du travail social ?
Nous sommes allée à la rencontre des deux Hautes Ecoles en travail social en Belgique Wallonne qui proposent des formations incluant les questions environnementales dans leur cursus. Cette démarche empirique nous a permis de pointer les éléments qui semblent favoriser l’opérationnalité de la mis en œuvre des pratiques écoresponsables en travail social comme le travail communautaire, la participation et l’autodétermination.
Dans un premier temps, nous présentons des éléments historiques venant éclairer le contexte dans lequel s’est réalisée la rencontre entre le champ de l’écologie environnementale, celui de la sociologie puis celui de l’éducation. Dans un deuxième temps, nous nous focaliserons sur les enseignements de pratiques écoresponsables en travail social dans les Hautes Ecoles en Belgique et nous traitons les intérêts (éthique, participatif, économique, etc.) qu’elles recouvrent. Pour finir, nous abordons des perspectives et orientations de travail possibles autour de l’écocitoyenneté, vue sous l’angle d’un modèle de la participation des personnes concernées en travail et service social.
I/ L’écocitoyenneté : nouveau visage de la participation citoyenne qui se diffuse dans le secteur du travail social
Cette première partie propose une perspective compréhensive de la rencontre qui s’est opérée entre travail social et écologie environnementale. En effet, ces deux champs construits, indépendamment l’un de l’autre, ne semblaient pas voués à se rencontrer. Il est donc pertinent de s’interroger quant à la faisabilité et aux intérêts que recouvre une telle cohabitation. De plus, cette contribution s’inscrit dans une démarche de vigilance et participe, à son échelle, à l’anticipation de potentielles dérives. Un risque identifié serait que l’injonction, faite aux établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) à se montrer toujours plus écoresponsables, conduise à une forme d’éco blanchiment, autrement dit « mascarade écologique » (Le Robert, 2022), ce qui rendrait le principe d’écoresponsabilité superficiel et donc inopérant dans ce contexte.
Par le prisme de la formation des travailleurs sociaux, on constate que le travail social est de plus en plus concerné par des concepts tels que le développement social durable, la transition écologique (référentiel de formation Diplôme d’Etat d’Assistante de Service Social (DEASS), niveau VI), l’écoresponsabilité (Référentiel de formation Diplôme d’Etat d’Accompagnant Educatif et Social (DEAES), niveau III). Toutefois, il faut préciser que cette rencontre est issue d’un long cheminement qu’a fait l’écologie environnementale pour devenir un objet de préoccupation mondiale, touchant aujourd’hui de nombreux secteurs d’activités professionnelles, dont ceux de l’enseignement et de la formation en travail social.
Le terme écologie est apparu en 1866 à l’initiative du biologiste allemand Ernst Haeckel mais ne sera officiellement reconnu qu’en 1938, avec sa toute première apparition dans le Dictionnaire encyclopédique Quillet. La notion d’écologie, qui prend sa racine étymologique du grec oikos et logos (littéralement science de l'habitat), est née de passions de certains naturalistes pour l’étude des interactions entre les végétaux et l’économie de la nature (Gilbert White (1720 - 1793) ; Henry David Thoreau (1817- 1862) ; Charles Darwin (1809- 1882)). Jusque dans les années quarante, les questions concernant l’environnement étaient plutôt la préoccupation des experts, ou encore un objet de curiosité touristique, comme le Vésuve en éruption (1800), une des premières catastrophes médiatisées en tant que spectacle (Corvol, 2021).
L’historien américain, Donald Worster, parle d’un tournant décisif en 1945, une année marquant l’entrée dans ce qu’il nomma « l’âge écologique ». Il met en avant les facteurs expliquant cette période historique, marquée par une prise de conscience mondiale des conséquences désastreuses résultant d’activités humaines sur l'environnement. En effet, en 1945 les premiers essais d’explosions nucléaires, comme ceux réalisés dans le désert du Nouveau-Mexique, alertent les populations quant au rapport existant entre la qualité de l’environnement et les incidences sur les conditions de vie humaine. On note également que la disparition du dodo datant du 17e siècle a fait scandale et donné lieu à la Protection de la Nature (UIPN-1948), devenue l’actuelle Union Internationale pour la Conservation de la Nature et de ses ressources (UICN). La Guerre du Viêtnam (1955-1975), nommée Guerre écologique, déclenche une prise de conscience concernant la dangerosité des pesticides (Dichloro-Diphényl-Trichloréthane) extrêmement toxiques. Cette guerre était caractérisée par une stratégie militaro-économique consistant à détruire durablement des écosystèmes au moyen d'herbicides de synthèse. Afin d’alerter au sujet de la grave menace que représente l’accumulation des pesticides dans l’eau et les sols, Rachel Carson, biologiste s’inscrivant dans la pure tradition Gilbert White, a publié un ouvrage de référence « le printemps silencieux », en 1962. C’est durant cette période, plus précisément en 1955, avec le concours de Roger Heim (élu président de l’Union Internationale de la Protection de la Nature en 1956), que la première chaire en écologie vit le jour au Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris. L’écologie mute en discipline dans le but de faire de la protection de l’environnement un nouveau domaine scientifique à développer. Parmi les phénomènes ayant contribué à éveiller les consciences concernant les risques de destruction des écosystèmes on observe également que les naufrages du Torrey Canyon (1967) et de l'Amoco Cadiz (1978) entrainant à deux reprises des phénomènes de marées noires considérées comme l’une des pires catastrophes écologiques, au même titre que l'accident majeur du réacteur n°4 de Tchernobyl le 26 avril 1986, en Ukraine. Cette liste non exhaustive des drames écologiques et les réactions humaines qui en ont découlé met en exergue la manière dont l’écologie environnementale est devenue une préoccupation mondiale.
On voit se développer la notion d’écologie dans la sphère sociologique dans les années 70 à 80, dans le cadre de recherches menées par l’école de Chicago en écologie urbaine. Un concept qui reposait sur une approche ethnographique et systémique des rapports entre les individus dans un contexte urbain (Cherki, 1979). Dans les années 1980, l’approche de Murray Bookchin, de l’école de Palo Alto, propose une grille de lecture des rapports de domination entre les individus mis en parallèle avec les rapports de domination de l’Homme sur la nature : « Le rapport des sociétés modernes à ce qu’elles appellent la nature reflète les rapports de pouvoir qui structurent ces sociétés. La domination qu’exerce les riches sur les pauvres, les hommes sur les femmes, les vieux sur les jeunes, se prolonge dans la domination que les sociétés fondées sur la hiérarchie exercent sur leur environnement ». (Bookchin, 1989, p. 2). Bookchin alerte quant à cette nouvelle forme de crise, née de l’exploitation de la planète Terre par l’Homme depuis l’ère industrielle : « La sécheresse des étendues désertiques du Proche-Orient, berceau de l’agriculture et de l’urbanisme, témoigne d’une dilapidation humaine passée, mais cet exemple fait pâle figure au regard de la destruction massive de l’environnement accomplie depuis l’époque de la révolution industrielle, et surtout de la Seconde Guerre Mondiale » (Bookchin, 1989, p.6).
Concernant la sphère politique, le tournant majeur repéré est la création du Ministère de l’Environnement, sous le gouvernement Pompidou et dont Robert Poujade fut nommé ministre en 1971. La naissance d’un ministère dédié à l’environnement part d’une volonté politique visant l’amélioration du cadre de vie des Français, qui percevaient et craignaient de plus en plus fortement les risques encourus pour eux et leurs descendances. L’agronome René Dumont (1974) fut le premier candidat écologiste à se présenter à la présidentielle, permettant ainsi à l’écologie de s’installer dans l’arène politique. Cette augmentation des préoccupations écologiques est concomitante aux traités et textes de loi venant légiférer la protection de l’environnement. À défaut de base juridique concernant le droit de l’environnement, et faisant suite à la Conférence des Nations Unies sur l'environnement (1972), le premier programme d’action environnementale vit le jour sous la forme d’une déclaration de Stockholm. Autres textes fondateurs à retenir est le rapport Brundtland (1987) qui alertait au sujet des risques écologiques encourus aux vues de l’activité humaine. En 1992, la Conférence de Rio validait les constats du Rapport Brundtland, faisant ainsi du développement durable un enjeu crucial pour le XXIe siècle. « Le monde occidental prenait conscience que son mode de vie ne pouvait être généralisé à l’ensemble de la planète et qu’il devait, pour des raisons écologiques, mais également humanistes, être repensé » (Pellaud, Eastes, 2020, p.2). Dans ce cadre, l’idée était de sensibiliser l’ensemble de la planète à l’idée de « durabilité », avec, par exemple, l’Agenda 21 (1992), présenté en premier lieu sous la forme « grand public » (Keating, 1993), puis avec les Agendas 21 locaux, s’adressant aux régions, cantons, villes et communes, pour finir par des Agendas spécifiques à différents milieux, tels que le monde de la culture, du sport ou encore de l’enseignement.
On constate que l'éducation relative à l'environnement (EER) nait timidement dans les années 70, avec des textes destinés aux enseignants, visant à promouvoir le développement d’attitudes responsables face à l’environnement chez les élèves (Montagne, 2003). Puis, dans la lignée des Agendas 21, on voit apparaitre les Agendas 21 scolaires, donnant de nouvelles finalités de l’école du XXIe siècle : le développement de l’écoresponsabilité.
L’Education au Développement Durable (EDD) a ainsi pris sa place et a fait de la protection de l’environnement un objet d’enseignement visant à : « fournir une boussole aux élèves, qui leur permette d'acquérir des savoirs et des compétences, d'orienter leurs parcours individuels, personnels et professionnels, ainsi que de fonder leurs engagements citoyens pour un monde soutenable et respectueux de la personne humaine et de son environnement » (Agenda 2030, Circulaire du 24-9-2020). Ces enseignements spécifiques, inclus dans les programmes scolaires, visent donc à favoriser l’engagement citoyen chez les élèves en développant leur sentiment de responsabilité et de solidarité. (Jutras, Bertrand,1998). Natasha Blanchet Cohen et Giulietta Di Mambro (2016) soutiennent le postulat selon lequel le concept d’écoresponsabilité enseigné aux élèves les amènerait à devenir des « écocitoyens », c’est-à-dire à pratiquer des compétences, critiques, éthiques et politiques.
Ainsi le concept d’écoresponsabilité introduit dans les enseignements de l’éducation nationale, et entendu comme une valeur citoyenne, amènerait les jeunes générations à construire une posture écocitoyenne faisant appel à la participation de tous à la vie locale et politique.
Cette perspective attrayante est à mettre en lien avec les pratiques éducatives en travail social. En effet, le principe de participation est au cœur du travail social. Avec la loi n°88-1088 du 1er décembre 1988 à travers laquelle l’Etat contractualise avec les bénéficiaires leur donnant ainsi une place d’acteur (Heijboer, 2019). La loi du 02 janvier 2002-2 rénovant l’action sociale et médicosociale vient réaffirmer la place des personnes accompagnées au cœur des projets individuels et collectifs. On note ensuite la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées qui vient également réaffirmer le principe de participation, élargissant la dimension à la vie citoyenne (participation institutionnelle). Des orientations qui sont à nouveau empruntées notamment dans le Livre Vert 2022 du travail social soumis au Premier ministre : « la participation est au cœur du travail social » (HCTS, 2022, p.28).
Un des objectifs du Livre Vert est de favoriser le développement de la participation, parfois mise en péril alors que les textes de lois qui régissent l’action sociale et médico-sociale prônent le droit à la participation des personnes concernées et proposent différents outils ayant pour but de favoriser celle-ci. Toutefois les acteurs du travail social pointent le fait que les personnes accompagnées sont trop souvent dépourvues de ce droit dans leur parcours. « Les professionnels interrogent alors l’Etat, les collectivités territoriales et les institutions sur les moyens dont ils disposent pour donner une place centrale aux personnes accompagnées, notamment dans les politiques sociales qui les concernent » (HCTS 2022, p.28). Dans le cadre d’une recherche de moyens, à mettre à destination des professionnels ainsi que des personnes concernées pour favoriser la participation, les pratiques écocitoyennes favorisant la participation à la vie sociale et citoyenne représenterait un axe de travail à explorer, à développer.
Alors dans quelle mesure la formation des travailleurs sociaux participe-t-elle à la transmission de pratiques écocitoyennes ?
L’empreinte de l’écologie environnementale, dans le secteur du travail social en France, est visible lorsqu’on se penche sur les référentiels de formation de certains diplômes en travail social. Par exemple, le référentiel de formation d’Accompagnant Educatif et Social intègre la notion de « règles d’éco-responsabilité » (JOFRE 2021), dans le cadre du bloc de compétences 1 « Accompagnement de la personne dans les actes essentiels de sa vie quotidienne ».
Même constat en ce qui concerne la formation des Assistantes de Service Social (ASS), dont le référentiel de formation (DEASS annexes I et II : référentiel professionnel et référentiel de formation) contient les notions de « transition écologique et développement durable » dans le cadre du domaine de formation 2 « Analyse des questions sociales de l’intervention professionnelle en travail social ».
La place donnée au développement durable et à la transition écologique dans le travail social apparait également dans le Livre Vert et est présentée comme un axe d’amélioration du bien-être et de la qualité de vie des personnes et notamment des plus vulnérables (personnes sans domicile fixe, personnes âgées, etc.), « Les notions de qualité de vie et de bien-être sont en pleine évolution. La demande des citoyens sur ces questions ne se résume pas à plus de consommation de biens et de services, mais se traduit dans toutes les composantes de la vie quotidienne : l’urbanisme, l’habitat, les mobilités, l’environnement, la santé, le lien social … » (HCTS, p.13-14). De plus, le Livre Vert insiste sur le fait que le changement climatique fragilise les publics déjà en situation de vulnérabilité, ainsi les enjeux écologiques sont pointés comme éminemment sociaux. Pour finir, il nous faut relever le rapport dialectique existant entre l’écologie et le travail social, souligné dans le livre Vert : « Réussir la transition écologique signifie réussir la transition sociale » (HCTS, p14). Un rapprochement qui est également visible à travers le travail mené en écologie sociale par Murray Bookchin : « Aucun des principaux problèmes écologiques auxquels nous nous affrontons aujourd’hui ne pourra être résolu sans changement social profond » (Bookchin, 1989, p.3). Il semblerait donc que l’un n’aille pas sans l’autre. Ainsi, la notion d’écologie est à appréhender dans son ensemble, c’est-à-dire intégrant trois dimensions : « environnementale, sociale (assurer la cohésion de la société) et économique (promouvoir une économie responsable dans ses modes de production et de consommation) » (HCTS, p14). Un phénomène qui génèrerait « des évolutions des organisations et des écosystèmes » (HCTS, p.14).
Le constat d’une montée en puissance de l’écologie environnementale sous forme de valeur citoyenne faisant appel à la responsabilité et à la participation dans le milieu de l’enseignement, puis dans le secteur du travail social, invite à étudier cette rencontre.
La place donnée à l’écologie environnementale, dans la formation des travailleurs sociaux en Belgique Wallonne, offre une perspective intéressante à notre recherche. En effet, certains diplômes délivrés aux travailleurs sociaux intègrent fortement la dimension écologique et environnementale. Nous nous sommes donc tournés vers deux hautes écoles en travail social (équivalent des EFTS en Wallonie) afin de repérer les intérêts de cette cohabitation et les conditions sine qua non pour que l’alliance entre travail social et écologie environnementale soit opérante.
II/ Découverte des enseignements et pratiques en écologie sociale en Belgique Wallonne
2.1 Cadre de l’étude menée
Comme précisé dans le chapitre précédant, le principe d’écoresponsabilité est diffusé au niveau de l’enseignement dans le but que les étudiant.es soient en mesure d’appliquer les gestes respectueux de l’environnement. Initialement, l’école Nationale était seule porteuse du message écologique adressé à la jeunesse, mais aujourd’hui la formation en travail social, intègre également des notions telles que le développement durable ou le principe d’écoresponsabilité.
Cette étude à caractère exploratoire a été menée afin d’observer et d’analyser la manière dont les pratiques écoresponsables sont introduites dans la formation des travailleurs sociaux en Wallonie et s’est déroulée en deux temps :
- En amont de l’écriture de l’article, nous sommes allée rencontrer et questionner les enseignant.es des deux écoles en travail social en Belgique.
- En aval de l’écriture de l’article, nous avons organisé des temps de relecture conjointe avec nos interlocuteur.rices Belges précédemment rencontré.es.
La première étape de cette recherche s’est déroulée dans le cadre d’entretiens ouverts non directifs avec les enseignant.es qui ont accepté de nous recevoir. Dans la Haute Ecole Libre de Bruxelles nous avons été reçue par l’équipe pédagogique de la section écologie sociale, que nous présentons plus en détail dans la partie suivante. Nous avons également eu l’occasion d’accompagner une promotion de première année, en présence de l’enseignante chargée de la coordination des stages au sein de la HELB, lors d’une de ces visites de structure à Ixelles. Un après-midi consacré, en premier lieu, à l’association Worms, dans le cadre d’une formation au compost et en second lieu à l’association Zero Waste, dans le cadre de la sensibilisation à la réduction des déchets.
En ce qui concerne la visite de la Haute Ecole Provinciale de Hainaut (HEPH), nous avons été reçue par l’enseignante chargée de l’Unité d’Enseignement en développement durable du Master Ingénierie et Action Sociales (MIAS).
La seconde étape s’est déroulée lors de temps de travail en visioconférence avec d’une part l’équipe pédagogique qui nous a rencontrée lors de notre visite à la HELB et d’autre part avec l’enseignante en développement durable de la HEPH.
Le protocole qui a guidé cette étude s’inscrit dans une démarche éthique dans le mesure où il intègre les différents partis tout du long de la recherche, dans un but de transparence et en vue d’une validation des données récoltées et transcrites.
2.2 Rencontre avec la Haute Ecole Libre de Bruxelles : l’écologie sociale une branche du travail social devenue incontournable
En premier lieu, nous nous sommes tournée vers à la Haute Ecole Libre de Bruxelles Ilya Prigogine (HELB) appartenant à l’Ecole Ouvrière Supérieure (EOS) dont le département social de cette école comprend un diplôme niveau Bachelor (équivalent Wallon du niveau licence en France) en Ecologie Sociale. Cet établissement a choisi de créer le Bachelor Ecologie Sociale : une section spécialisée en travail social, intégrant pleinement la dimension écologique et environnementale et construite en parallèle du Bachelor Assistant Social. Alors pourquoi proposer un diplôme en écologie sociale plutôt que de diffuser des enseignements concernant l’environnement dans un diplôme déjà existant ? De quelle manière l’écologie environnementale et le travail social se rencontrent-ils et cohabitent-ils, dans le cadre du Bachelor Ecologie Sociale ?
Dans l’optique de répondre à ces questions, nous sommes allée à la rencontre de l’équipe pédagogique et de recherche de la section Ecologie Sociale comprenant le responsable de la recherche, le responsable des relations Internationales, le coordinateur de la section écologie sociale, la coordinatrice internationale en travail social et la coordinatrice de stage.
En premier lieu, nous apprenons que le Bachelor Ecologie Sociale est né en 2003 à la demande des travailleurs sociaux qui souhaitaient acquérir des connaissances concernant l’environnement. Le questionnement était alors le suivant : faut-il ajouter des heures sur l’environnement ou créer un diplôme spécifique ? Selon l’équipe pédagogique, il devient difficile de faire du travail social sans écologie, du fait de la précarité énergétique, et réciproquement on ne peut pas faire d’écologie sans social. Du fait de ce constat, la création d’une section à part entière avec une nouvelle version du référentiel de formation semblait pertinente. Il est à noter que cette branche était initialement considérée comme assez marginale. Aujourd’hui, elle reste encore assez méconnue toutefois selon les personnes interviewées, elle est en expansion. La section Ecologie Sociale et plus largement l’Ecole Ouvrière Supérieure défend certaines valeurs qui font sa « marque de fabrique » :
- Développer l’esprit critique des étudiants.
- Emanciper les usagers.
Par ailleurs, ce cursus se veut aussi bien théorique que pratique. On note trois axes en ce qui concerne les apports théoriques :
- Un axe d’intervention psychosociale : gestion de conflits, négociation, projet, méthodologie.
- Un axe sociologique et urbanistique : sociologie, économie.
- Un axe scientifique : géographie, physique, chimie.
Concernant les apports pratiques, lors de leur première année, les étudiants font des visites d’Association Sans But Lucratif (équivalent Belges des Associations loi 1901) et de structures publiques, communales ou/et régionales. Cela les conduit vers la réalisation d’un stage de 210 heures en deuxième année, puis d’un stage de 420 heures en troisième année. L’objectif de cette pédagogie par le terrain est de leur permettre d’intégrer la profession à l’issue de leurs études, tout en plaçant la dimension environnementale au cœur de leur action. Alors qu’entend-t-on vraiment par dimension environnementale ?
A l’unisson l’équipe pédagogique répond à cette question en indiquant que la dimension environnementale signifie l’environnement au sens large, englobant toutes les composantes au cadre de vie, quartier, logements, aménagements du territoire, etc.
Des enseignements variés permettant aux futurs écologues sociaux d’inscrire leurs pratiques professionnelles à la croisée des chemins entre, d’une part le travail social et l’écologie et d’autre part l’Homme et son environnement. La mission de ces futurs professionnels est de lutter contre les nouvelles formes de pauvretés. Quelques exemples d’actions menées pour réduire ces nouvelles pauvretés sont évoqués, à titre d’illustrations, par nos interlocuteurs:
- Permettre à des personnes en situation de précarité financière de réduire leur facture énergétique en accédant à l’énergie renouvelable.
- Apporter une aide aux personnes subissant une exclusion des logements suite aux impayés liés au confinement durant l’épidémie du COVID.
- Créer une mobilisation autour du traitement des déchets type masques à usage unique.
- Créer des potagers collectifs ou fermes urbaines pour permettre l’accès à des produits locaux à des personnes en situation de précarité financière.
Nous apprenons grâce à cette rencontre avec l’équipe pédagogique de la Haute Ecole Libre de Bruxelles que l’alliance entre l’écologie et le travail social est devenue incontournable, car l’un ne peut fonctionner pleinement sans l’autre et vice versa. Ces pratiques favorisent d’une part, l’engagement militant des écologues sociaux et d’autre part, l’émancipation des personnes accompagnées, de certaines formes de dépendances en cherchant à diminuer les inégalités sociales et environnementales qui sont liées (par exemple, à la surconsommation). L’équipe pédagogique s’accorde sur le fait que cette cohabitation du travail social et de l’environnement prend d’autant plus son sens face au constat que les personnes ayant une empreinte écologique plus faible sont bien souvent les plus touchées par les problématiques environnementales (pollution de l’air, inondations, etc.).
L’écologue social semble avoir toute sa place au regard des nouvelles formes de pauvretés nées de problématiques écologiques qui nous ont été présentées durant l’entretien et qui font, à nouveau, échos aux apports réflexifs que nous offre le Livre Vert du HCTS 2022.
Nous nous sommes ensuite penchée vers les évolutions possibles, en termes d’études, pour un étudiant diplômé en Ecologie Sociale. Nous constatons plusieurs débouchés comme des Masters en gestion de l’environnement, urbanisme, sciences politiques, sciences sociales, ou encore en ingénierie sociale. Nous nous sommes alors intéressée au Master Ingénierie et Action Sociales (MIAS), proposant un cursus mêlant lui aussi travail social et écologie environnementale. Nous sommes allées à leur rencontre pour questionner de nouveau les tenants et aboutissants de cette cohabitation.
2.3 Rencontre avec la Haute Ecole Provinciale de Hainaut : le travail communautaire au service du développement durable
La seconde école visitée, la Haute Ecole Provinciale de Hainaut (HEPH), propose un Master en Ingénierie et Action Sociales (MIAS) comprenant une unité d’enseignement en développement du territoire. Le MIAS vise à former des professionnels de terrains en travail social et spécifiquement dans le « secteur non-marchand » dont les Associations Sans But Lucratif (ASLB) font partie. La finalité du MIAS, allie les notions de développement durable et développement social : « (…) ce Master vise la transformation des rapports sociaux dans une démarche de développement durable et dans l’interculturalité. Elle promeut la cohabitation et l’inclusion sociale des personnes, citoyens locaux ou citoyens du monde, aux niveaux territorial et local, en vue de leur développement social, culturel, politique et économique. » (Programme de formation, HEPH).
Nous sommes allée à la rencontre de l’enseignante chargée de l’Unité d’enseignement « développement du territoire », qui s’inscrit dans le cadre des cours « d’écologie sociale et biens communs ». A l’instar du cursus écologie sociale, la pratique est au cœur du MIAS. Dans le cadre des ateliers de recherche en dynamique territoriale, considérés comme « l’épine dorsale » du MIAS, les étudiants doivent réaliser un projet de recherche. Les autres unités d’enseignement s’articulent autour de ce projet de recherche, en apportant les contenus théoriques nécessaires à sa réalisation. Le projet de recherche consiste en une action dite de programmation stratégique de développement durable, après élaboration d’un diagnostic territorial.
Lorsque nous interrogeons notre interlocutrice quant à la faisabilité d’actions écologiques en travail social, celle-ci répond : « Il faut des projets, il faut vivre dans un quotidien, faire des liens, avoir des échanges, s’enraciner dans un territoire. Cela amène à la participation citoyenne. Faire du développement durable, dans le social, c’est faire du lien, ceci est aussi important que l’action écologique en elle-même. ». A ceci elle ajoute que l’écologie sociale prend forme par un projet commun qui s’inscrit dans une approche communautaire, c’est-à-dire une approche qui inclut tous les membres d’une institution, d’un quartier. Cet aspect est déterminant, car un projet porté par la communauté est de fait plus pérenne. Elle précise qu’un projet à vocation environnementale peut être ponctuel et individuel, une action à vocation de développement durable est nécessairement communautaire. Car il s’agit d’agir local et de penser global. Une vision de l’écologie sociale radicale inspirée des théories concernant l'écologie sociale et le municipalisme libertaire dont Murray Bookchin est à l’origine.
Un questionnement récurrent, issu des expérimentations de terrains menées par des étudiants inscrits en MIAS, est mise en évidence lors de cet échange : « Comment faire pour que les publics fragilisés s’impliquent, s’autorisent à participer au projet ? ».
Ce dernier échange montre que la participation des personnes accompagnées ainsi que des acteurs présents sur un territoire donné, est un prérequis au bon déroulement des pratiques de développement durable. Toutefois la participation ne va pas de soi. Il s’agit de proposer des outils permettant celle-ci et ainsi l’adoption d’un rôle d’écocitoyen dans le cadre de l’environnement local. Notre interlocutrice fait référence au concept d’empowerment (concept qui sera présenté au cours du chapitre 3.1) comme soutien à la participation, mais elle précise que le cadre politique et institutionnel est également déterminant dans la mesure où il doit permettre la participation en donnant les moyens nécessaires.
2.4 Ecologie sociale, participation et travail communautaire
Après nos rencontres avec les Hautes Ecoles Belges, il apparait qu’entreprendre des actions écoresponsables dans le travail social est devenu indispensable, tant pour les travailleurs sociaux que formateurs enseignants. En effet, ces entretiens révèlent que le rapport entre l’Humain et son environnement global (social et naturel) est essentiel dans l’approche de publics en situation de vulnérabilité. D’autant plus que ces derniers subissent de plein fouet les effets d’un dérèglement climatique qui contribue à accentuer leur vulnérabilité.
Il apparait également que les pratiques écocitoyennes à vocation durable s’inscrivent nécessairement dans une action portée par la communauté locale, soutenant ainsi leur durabilité. Ainsi, un des intérêts de cette cohabitation repose sur le fait que ces pratiques font éminemment appel à la participation des personnes concernées et des acteurs se trouvant sur le territoire. On peut d’ores et déjà entrevoir l’opportunité que représente la mise en œuvre des pratiques écocitoyennes, venant renforcer la participation des personnes concernées à la vie sociale et citoyenne, dans le contexte du travail social en France, où le principe de participation est au cœur des pratiques éducatives.
Toutefois, la participation des personnes concernées ne s’instaure pas spontanément bien qu’elle soit incontournable dans la mise en œuvre de pratiques en écologie sociale. L’expérience de terrain en Belgique nous a permis ce constat. En effet, participer signifie se sentir compétent pour cela. Alors, un des prérequis pour que les pratiques écologiques et sociales se mettent en œuvre et s’installent durablement est que les acteurs concernés par le projet éco-social se sentent légitimes à participer.
III. Alliance entre travail social et pratiques écoresponsables en France : Quels défis, intérêts et perspectives?
3.1 Ecologie sociale en France : un défi d’implication de la communauté et d’autodétermination des personnes accompagnées
Nos interviews avec les équipes pédagogiques au sein des deux Hautes Ecoles Belges amènent aux constats suivants :
- La mise en œuvre de projet à vocation de développement durable est plus opérationnelle lorsqu’elle s’inscrit dans une démarche communautaire.
- La participation des personnes concernées, qui constitue un facteur déterminant de la réussite d’un projet à vocation de développement durable, suppose que celles-ci se sentent suffisamment légitimes pour s’autoriser à participer.
Nous avons donc choisi de croiser ces deux aspects avec les pratiques éducatives préconisées et mises en œuvre en France afin de comprendre dans quelles mesures le cadre du travail social va permettre la rencontre faisant sens entre écologie et travail social.
En Belgique, la formation des travailleurs sociaux propose trois méthodologies du travail ou de service social (Bosquet, Maeyens, 2016) :
- Individuelle, qui consiste à accompagner une personne ou une famille pour répondre à sa problématique individuelle.
- De groupe, qui consiste à répondre à une problématique en mettant en lien des groupes d’individus.
- Communautaire, qui consiste à appréhender et à chercher à résoudre le problème collectivement.
Il nous semble primordial d’apporter davantage de précision quant à cette troisième méthodologie pour tenter de comprendre les raisons pour lesquelles elle est indissociable des pratiques écologiques et sociales durables.
Catherine Bosquet et Caroline Maeyens (2016) mettent en lumière le fait que la méthodologie communautaire, intégrée au travail social vise un changement social global. En effet, il ne s’agit pas uniquement de répondre à une problématique identifiée, mais bien d’initier un processus d’émancipation individuelle, collective et de progrès social. La méthodologie communautaire appliquée au travail social ouvre une perspective pratique, s’inscrivant éminemment dans le courant de pensée de l’écologie sociale de Palo Alto qui tend vers l’idéal d’une société écologique et de ce fait non hiérarchique (Bookchin, 1989). Ce point résonne avec la définition du travail social issue du Code de l’action sociale et des familles (Art. D142-1-1) : « Le travail social vise à permettre l’accès des personnes à l’ensemble de leurs droits fondamentaux, à faciliter leur inclusion sociale et à exercer une pleine citoyenneté. Dans un but d’émancipation, d’accès à l’autonomie, de protection et de participation des personnes, le travail social contribue à promouvoir, par des approches collectives, individuelles, le changement social, le développement social et la cohésion de la société ». Toutefois, si les buts et valeurs mentionnés s’apparentent au principe de travail communautaire, il n’en est pas fait mention dans cette définition française du travail social. Le Livre Vert (HCTS, 2022) du travail social reconnait que l’approche communautaire représente des avantages certains et qu’il est nécessaire de développer dans le travail social en France. Toutefois, un développement de méthodologies communautaires demanderait un remaniement des pratiques professionnelles et institutionnelles : « Dans d’autres pays européens ou anglo-saxons, le travail social est un marqueur d’un parcours professionnel valorisant dans une trajectoire, partant parfois d’une conception plus communautaire du travail social. C’est une véritable promotion des métiers qu’il faut bâtir » (HCTS, 2022, p.66). Le rapport de Denis Piveteau, « experts acteurs ensemble…pour une société qui change » (2022), fait également mention de transformations profondes qui doivent être apportées pour développer le pouvoir d’agir des personnes et des communautés. Un discours opposé à la tendance qui promeut fortement une approche individualisée (Loi du 02 janvier 2002-2, projet individualisé ; Rapport 2005 IGAS, intervention individuelle) et dans laquelle s’inscrit le travail social en France.
Cependant, si la mise en œuvre de la méthodologie communautaire semble laborieuse dans le secteur du travail social en France, il est à noter qu’elle a été fortement promue lors de la professionnalisation des assistants sociaux dans les années 60 à 70. Elle entre dans les programmes de formation de ces professionnels en 1962 et s’inscrit dans le cadre des projets de l’intervention sociale d’intérêt collectif (ISIC) que les assistants sociaux ont à mener (anas.fr, déclaration de l’association nationale de assistants de service social, 2007). L’ISIC promeut la participation des personnes et la centration sur leurs capacités. Point de congruence avec notre étude, au cours de laquelle, nous avons repéré que la mise en œuvre du travail communautaire nécessitait la participation des personnes concernées. Dans ce cadre, la participation est perçue comme un processus et un moyen : « un processus dans la mesure où le renforcement des compétences des participants et de leurs capacités à agir sur leur environnement est l’un des objectifs et un moyen, car cette participation contribue au changement social souhaité » (Bosquet, Maeyens, 2016, p. 69).
En ce qui concerne la dimension écologie environnementale, celle-ci peut sembler très éloignée des préoccupations quotidiennes et revêt un caractère scientifique, mettant à distance les personnes se sentant peu concernées et/ou non aguerries. Néanmoins, cette participation est indispensable à la réussite d’un projet écologique et sociale à vocation d’être durable. Alors comment favoriser cette participation à double utilité, d’une part pour la viabilité du projet (moyen) et d’autre part pour favoriser l’émancipation des personnes (processus) ?
Notre interlocutrice à la Haute Ecole Provinciale d’Hainaut a répondu à cette question en évoquant le concept d’empowerment que nous souhaitons développer dans cette partie et mettre en résonnance avec le concept d’autodétermination qui « suppose de transformer l’envie et les désirs de la personne en une décision, ce processus nécessite que celle-ci ait la capacité d’analyser et d’agir en fonction de son propre choix » (Petiau, Lenzi, Heijboer, Morin, p.9, 2021).
Le terme empowerment a la particularité d’être polysémique, ce qui le rend difficile à définir. On distingue trois formes d’empowerment :
- Le modèle radical : issu des théories de transformation sociale comme celles de Paolo Freiré (1921-1997), de la branche la plus radicale du mouvement féministe et d’une partie des mouvements communautaires. Ce modèle prône la reconnaissance des groupes dans le but de mettre un terme à leur stigmatisation, d’organiser la redistribution des ressources et les droits politiques. « Schématiquement, cette conception de l’empowerment prend sens dans une chaîne d’équivalences qui lie les notions de justice, de redistribution, de changement social, de conscientisation et de pouvoir, celles-ci étant exercées par ceux d’« en bas ». » (Bacqué, Biewener, 2013, p.28).
- Le modèle libéral : le qualificatif « libéral » est associé à des figures influentes après la Seconde Guerre mondiale, au moment où étaient mises en place des institutions de régulation internationale comme l’ONU, et qu’une forme de libéralisme social a été défendue. « Il articule la défense des libertés individuelles avec une attention à la cohésion sociale et à la vie des communities. Ce modèle social-libéral peut prendre en compte les conditions socio-économiques et politiques de l’exercice du pouvoir, sans pour autant interroger structurellement les inégalités sociales. » (Bacqué, Biewener, 2013, p.28).
- Le modèle néolibéral : « rationalité politique qui « met le marché au premier plan », mais « n’est pas seulement – et n’est même pas d’abord – centrée sur l’économie ; elle consiste plutôt dans l’extension et la dissémination des valeurs du marché à la politique sociale et à toutes les institutions. » (Bacqué, Biewener, 2013, p. 29).
Toutefois, quelles que soient les spécificités de ces modèles, certains traits communs s’en dégagent. D’une part le pouvoir d’agir, qui est à l’origine du mot et d’autre part le processus d’apprentissage pour y accéder (Bacqué, Biewener, 2013). L’empowerment est désormais entré dans le vocabulaire du travail social en France et fait écho au concept d’autodétermination des personnes. Les résultats de la recherche collaborative, Petiau, Lenzi, Heijboer, Morin (2021), mettent en avant le fait que les personnes concernées qui participent à la recherche-action continuent à subir une forme d’injustice épistémique, décrite comme une forme de disqualification des savoirs détenus par la personne (Fricker, 2007). A ce propos, les personnes accompagnées traversent « une épreuve du doute », c’est-à-dire qu’elles mettent en doute leurs propres capacités à générer de la connaissance. Le sentiment de dévalorisation vécu par les personnes accompagnées nécessite que ces dernières doivent entamer un processus d’autodétermination pour pouvoir s’autoriser à prendre part au processus de recherche aux côtés de travailleurs sociaux et de chercheurs universitaires. Nous posons donc l’hypothèse selon laquelle le processus d’autodétermination servirait également le modèle de participation qui s’inscrit dans les pratiques écoresponsables en travail social.
3.2 Ecocitoyenneté en travail social : intérêts et perspectives
Il semblerait donc que l’éducation devienne un espace de transmission de principes écoresponsables. Selon Lucie Sauvé (2013), l’éducation contemporaine a pour mission de favoriser le développement de l’écocitoyenneté, c’est à dire une citoyenneté lucide quant aux liens existants entre la société et la nature. C’est également une citoyenneté qui se veut critique, compétente, créative, mais aussi engagée. Ces qualités, inhérentes à l’écocitoyenneté, sont observables dans le cadre du cursus en écologie sociale au sein de la Haute Ecole Libre de Bruxelles, lorsque les étudiants s’engagent dans le débat politique et l’actualité médiatique qui touche à leur sujet d’expertise. Cet exemple donne une idée de la portée émancipatrice qu’offre l’apprentissage à l’écocitoyenneté.
L’écocitoyenneté fait également appel au sens éthique des individus, « le développement d’individus capables d’une pensée autonome et critique, mais surtout collaborative. Plusieurs compétences émotionnelles sous-tendent cette dernière. La confiance en soi, l’empathie, le respect de l’altérité ou le partage, pour ne citer que les plus évidentes » (Pellaud, Eastes, 2020, p.12). A titre d’illustration, nous citerons l’expérience d’une équipe de travailleurs sociaux grecs qui se sont rendus d’urgence sur l’ile d’Eubée pour venir en soutien aux communautés locales après de graves incendies de forêt. En effet, cette catastrophe écologique a détruit la quasi-totalité d’une réserve qui était devenue un vivier d'entreprises communautaires modestes, respectueuses de l'environnement. Elle comprenait des activités liées à l’écotourisme et pratiquait l'agriculture modérée. L’économie forestière de la région a été profondément impactée et des milliers de personnes ont dû quitter leur lieu de vie pour s’installer à Athènes, capitale et centre financier, et ainsi organiser leur survie (Maglajlic, Ioakimidis, 2021). Dans ce cas de figure, les travailleurs sociaux participent à réduire la misère humaine dans une situation d’urgence qui nécessite une réponse solidaire, collective, immédiate, faisant éminemment appel au sens éthique de chacun. Selon Lucie Sauvé et Isabel Orellana (2014), propose l’idée selon laquelle l’écocitoyenneté amènerait à un nouveau « vivre ensemble », une reconnaissance de l’autre ainsi que du milieu de vie.
Pour finir, nous pointons le fait que les valeurs portées par l’écologie sociale, l’approche communautaire et l’autodétermination rejoignent les idéaux démocratiques, au fondement de l’état social, dont le socle repose sur les valeurs universalistes, telles que la liberté, l’égalité ou encore la bienveillance universelle, et qui font de l’individu citoyen un acteur politique (Dierckx, 2010). Ce qui nous amène à penser que ces pratiques ont toute leur place en France.
Compte tenu des intérêts à mêler écologie environnementale et travail social (Sociale : développement du lien social sur un territoire donné, de qualités humaines, d’une réflexion éthique, etc. ; Politique : participation à la vie sociale et citoyenne, au débat public, etc. ; Économique : allégement des charges mensuelles, développement d’une économie sociale et solidaire, etc.) on peut déduire que les pratiques écoresponsables sont un vivier qui ne demande qu’à être exploré. Plus spécifiquement, nous invitons à l’exploration de l’écocitoyenneté comme nouveau modèle de la participation citoyenne des personnes accompagnées, avec comme grille de lecture l’échelle d’Arnstein (1969), qui vise à mesurer le degré de participation des individus.
CONCLUSION - Pratiques écocitoyennes en travail social : un nouveau modèle de la participation des personnes accompagnées à explorer
Les pratiques écoresponsables en travail social représentent certes de nombreux intérêts qui ont été mis en lumière grâce aux apports empiriques, théoriques et expérimentaux produits sur ce sujet. Dans la mesure où le travail social en France nécessite de profondes transformations, la mise en œuvre de pratiques écoresponsables serait un levier possible à ces transformations en invitant les ESSMS à aller vers une logique plus collective de participation. Ainsi la mise en œuvre de manière effective des pratiques écoresponsables, représente un réel enjeu. Les réformes, recommandations et la formation de travailleurs sociaux en France seront-elles à la hauteur du défi ?
Enfin, il semblerait que les mises en œuvre de pratiques écoresponsables permettent aux individus impliqués de tendre vers une posture écocitoyenne. De ce fait, les pratiques écoresponsables ne sont plus seulement un moyen opérant une transformation des pratiques en travail social, mais également un processus permettant l’évolution des postures plus participatives de la part des professionnels et personnes accompagnées, mais également plus bienveillants, car intrinsèquement liés au principe de justice écologique (Conseil de l’Europe, 2006, 2012). Ces observations permettent à notre recherche de soulever cette question : dans quelle mesure, les pratiques écoresponsables en travail social vont-elles contribuer à l’évolution de la participation des personnes accompagnées aux décisions les concernant et favoriser leur droit à l’autodétermination ?
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