Présentation du dossier
Biffer est en général une activité de survie ou un revenu d'appoint pour des personnes en précarité. C'est pourquoi la revente d'objets s'effectue souvent en marge de l'économie formelle et des espaces de vente dédiés : les biffins et biffines ne peuvent s'acquitter des prix de location des espaces de vente, ne disposant pas du capital financier ou social pour accéder à une "place".Trouver une place, la garder, en profiter sans s'inquiéter : voilà bien tout ce que demandent les biffin.es. Depuis le milieu des années 2000, cette demande s'est exprimée publiquement, dans le cadre de luttes pour le "droit à la biffe" et la reconnaissance de leur activité comme un travail utile, social, écologique.
En précarité, les biffin.es ont rencontré sur leur route les professionnel.les et institutions du travail social. Souvent non sollicitée, leur intervention est alors justifiée par la mission qui légitime leur propre existence : répondre aux "problématiques" individuelles des personnes identifiées comme "pauvres".
En lutte, les biffin.es ont cependant posé un problème aux mairies dont ils et elles utilisaient l'espace. Face à leurs revendications et à la sympathie des activistes, certain.es élu.es ont choisi d'utiliser le travail social comme intermédiaire : convoqué pour gérer des marchés et "accompagner" les vendeur.ses, le travail social y a reçu un accueil ambivalent et conflictuel.
Dans ce dossier, nous proposons donc de raconter et de discuter le rôle du travail social dans les parcours et les luttes des biffin.es. A la lumière de leur histoire récente, nous croisons les points de vue sur cette articulation entre biffe et travail social. La constitution de ce dossier s'est appuyée sur le réseau du LISRA, laboratoire à l'origine du collectif Rues Marchandes : les trois coordinatrices, respectivement chercheuses, travailleuses sociales ou biffine, en sont membres. Elles ont sollicité dans leur entourage professionnel et personnel des personnes susceptibles d'apporter des témoignages, des récits ou des analyses suffisamment variés pour rendre compte des controverses et difficultés du sujet abordé.
Ce dossier a été rédigé par six autrices et auteur.
Morgane Bechennec : éducatrice spécialisée de formation, elle travaille depuis dix ans pour différentes associations parisiennes accompagnant des personnes en situation de mal logement. Elle travaille actuellement en Seine-Saint-Denis auprès des personnes qui vivent en squat et bidonville. Elle est actuellement en cursus Master Intervention et développement social mention Économie Sociale et Solidaire au CNAM.
Clarissa Figueira : éducatrice spécialisée de formation, elle a été travailleuse sociale pour l'accompagnement de personnes en situation de mal logement pendant 10 ans. Un temps stagiaire chez Amelior, puis membre de Rues Marchandes, elle écrit aujourd'hui un doctorat en sciences de l'éducation sur l'économie populaire au laboratoire EMA (Écoles, Mutations, Apprentissages).
Jeanne Guien : docteure en philosophie, spécialisée dans l'étude de la consommation et des déchets, membre de Rues Marchandes, elle a travaillé plusieurs années pour l'association Amelior et est aujourd'hui médiatrice scolaire à l'association Intermèdes Robinson
Martine Huser : biffine des rues depuis son plus jeune age, dans les années 1970. Chercheuse de poubelles, militante, elle a été successivement membre des bureaux de Sauve qui Peut et d'Amelior. Elle a aussi été membre du Collectif de soutien aux biffins et est aujourd'hui de Rues Marchandes. Toujours passionnée, elle est aujourd'hui créatrice à partir d'objets de récupération.
Karine Lesueur : travailleuse sociale qui exerce auprès du public tsigane depuis une trentaine d'années à différents postes (animatrice socio-culturelle, éducatrice et travailleuse sociale) et sa fille, Tina Lesueur Diarra, adolescente, qui a grandi et partagé les histoires professionnelles de sa mère.
Laurent Ott : Laurent Ott a travaillé successivement dans l'ensemble des secteurs liés à l'enseignement, l'animation, le travail social et l'Education populaire. Docteur en Philosophie ses sujets de recherche se portent particulièrement sur le thème de la famille, de la parentalité, de l'éducation, la Précarité et la Pédagogie sociale. Co-fondateur d'Intermèdes Robinson, Laurent Ott milite en France pour le développement des pratiques en Pédagogie sociale."Auteur de "Philosophie sociale" et "Philosophie de la Précarité", édités par Chronique sociale, ainsi que "Travailler avec les familles " (Eres).