Impact du Programme Bourse de la Famille sur l’insécurité alimentaire et nutritionnelle des familles brésiliennes: une méta-analyse

Préambule

Cet article utilise les données extraites du projet de recherche, Gestion du Travail à l’interface santé-travail social-éducation.

Les autrices ont contribué à parts égales à la rédaction de l'article, qui est partagé entre les deux premières auteurs.

Maristel Kasper a contribué à la délimitation du sujet de l'article, l'introduction, discussion, conclusion et la traduction en français.

Affiliations

¹ Faculté en Sciences Medicales de Minas Gerais, Brésil;

² The Ubuntu Center on Racism, Global Movement, Population and Equity of Drexel University; 

³ Observatoire de Recherche en Épidémiologie, Nutrition et Santé (OPENS)

⁴ Université de l’État de Minas Gerais, Brésil. Docteure en double diplôme par l'Université de São Paulo (USP) et CY Cergy Paris Université - France;

Maristel Kasper est l’autrice correspondante pour cet article

Déclaration d'intérêt

Les auteurs déclarent aucun conflit d'intérêts. Ces analyses reposent sur des données agrégées et non identifiées et donc n’ont pas besoin de l’autorisation du Comité d’Éthique.

Cette étude a utilisé des données disponibles sur des sites web publics et des bases de données électroniques. La plateforme Embase a été accessible par le gouvernement brésilien (site web de la CAPES).

Introduction

La sécurité alimentaire et nutritionnelle (SAN) est un droit humain fondamental lié à l'accès régulier et permanent à une alimentation de qualité en quantité suffisante et répondant aux besoins nutritionnels des personnes, sans préjudice ou garantie d'accès à d'autres droits fondamentaux. Malheureusement, au Brésil et dans le monde, il s'agit encore d'une réalité très lointaine pour de nombreuses personnes, en particulier celles qui vivent dans des situations de vulnérabilité (Bezerra et al., 2020). 

La vulnérabilité sociale est un facteur déterminant de l'Insécurité Alimentaire et Nutritionnelle (IAN). Les personnes vivant dans l'extrême pauvreté, le chômage, un faible niveau d'éducation et qui subissent diverses formes de discrimination, entre autres, sont plus susceptibles de ne pas avoir accès à une nourriture quotidienne de qualité et en quantité suffisantes. En outre, ces personnes ont moins accès aux services de santé et d'éducation, ce qui aggrave encore leur vulnérabilité.

Pour assurer la sécurité alimentaire des personnes vulnérables, il est nécessaire d'adopter des politiques publiques qui favorisent l'accès à des aliments diversifiés et culturellement adaptés, en assurant une planification alimentaire adéquate. En outre, il est essentiel de promouvoir l'accès à l'eau potable, à l'assainissement de base et à des services de santé de qualité. De cette manière, il est possible de contribuer à l'amélioration de la qualité de vie de ces personnes et de réduire les inégalités (Ramos & Cuervo, 2012).

Avec son vaste territoire, sa culture et sa diversité, le Brésil est l'une des plus grandes puissances économies du monde, mais, d'un autre côté, c'est un pays où les inégalités, raciales, sexuelles, générationnelles et sociales, se reflètent dans les différentes dimensions de la vie de la population brésilienne et entraînent l'appauvrissement et l'exclusion d'une partie importante de la population brésilienne (Salata, 2020).

La Bourse de la Famille est un programme de transferts monétaires conditionnels du gouvernement fédéral brésilien qui a été mis en œuvre depuis 2003. Associé à d'autres politiques publiques, ce programme de protection sociale a été un outil important dans la lutte contre la pauvreté et la faim en fournissant une aide financière aux familles en situation de vulnérabilité sociale, en remplissant des conditions et normes liées à l'éducation et à la santé (Dyngeland et al., 2020; Vasconcelos et al., 2019).

Le Programme Bourse de la Famille (PBF), en tant que programme de protection sociale visant à assurer l'accès aux droits fondamentaux, tels que le droit humain à une alimentation adéquate, garanti par les politiques publiques de SAN, constitue une intervention sociale importante pour atténuer ou réduire l'ISAN, en particulier la faim, à laquelle sont exposées les familles en situation de vulnérabilité (Ramos et al., 2012).

Dans ce contexte, cette étude a pour but de recenser la littérature afin de comprendre la fréquence de l'insécurité alimentaire et nutritionnelle parmi les bénéficiaires du Programme Bourse de la Famillle, en vingt ans de mise en œuvre du programme en 2023.

Méthodes

Cette revue de littérature a été élaborée conformément au PRISMA Extension pour les Revues de Scoping (en anglais Scoping Review) (PRISMA-ScR) (Trico et al., 2018).

Stratégie de recherche et critères d'éligibilité

Pour identifier les études, les bases de données indépendantes MEDLINE et LILACS ont été utilisées dans la Bibliothèque Virtuelle de la Santé. En complémentarité, des documents et des publications ont été recherchés sur les portails de l'Institut Brésilien de Géographie et de Statistique (IBGE), de l'Institut de Recherche Économique Appliquée (IPEA), du Ministère du Développement Social et de la Lutte contre la Faim et du Ministère de la Santé du Brésil, de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et de la Banque de Thèses de la Coordination pour l'Formation du Personnel de l'Enseignement Supérieur (CAPES). En complément la littérature locale, une recherche manuelle a été effectuée dans les références des études sélectionnées.

Aucune restriction n'a été imposée quant à la langue, la date, le type de document ou le statut de publication pour l'inclusion des enregistrements. La revue de littérature a été effectuée en avril 2023. Les descripteurs ont été identifiés dans les Medical Subject Headings (MeSH) et DeCS. La stratégie de recherche utilisée englobait les termes MeSH, DeCS et les jargons:("bolsa familia" OR "bolsa família program" OR "Programa Bolsa Família" OR "Bolsa Família" OR "cash transfer") AND "Brazil" AND ("Food Security" OR "Dietary Patterns") AND ( db:("LILACS" OR "MEDLINE")).

Nous avons inclus des études primaires et secondaires qui évaluaient quantitativement l'effet du programme de transferts monétaires conditionnels Bourse de la Famille sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle des familles ou des citoyens brésiliens. Les études qualitatives, les analyses narratives, systématiques, intégratives ou exploratoires, les éditoriaux et les lettres ont été exclus.

Après avoir recherché les informations, les résultats de la recherche électronique dans les bases de données ont été exportés vers l'application du Rayyan Qatar Computing Research Institute. Deux examinateurs ont évalué indépendamment les titres et les résumés. Les divergences ont été résolues par consensus. Pour composer le tableau d'extraction, les informations suivantes ont été collectées : référence de l'auteur et année de publication; titre; revue; ville/état; conception de l'étude; nombre d'individus et de familles évalués; âge moyen; critères d'évaluation du SAN; principaux résultats; impact du programme (positif/négatif/neutre).

Méta-analyse

Des diagrammes forest plots ont été utilisés pour évaluer visuellement les estimations regroupées et les intervalles de confiance à 95 % correspondants. Nous avons calculé la statistique Q (niveau de signification de p<0,1) et la statistique I2, et le modèle des effets aléatoires a été appliqué pour évaluer l'hétérogénéité. Dans toutes les analyses, une valeur p <0,05 a été considérée comme statistiquement significative. L'analyse du biais de publication n'a pas été effectuée car cette mesure n'est pas appropriée pour une méta-analyse de prévalence. Les analyses ont été réalisées dans le studio R.

Résultats

Sur les 45 études trouvées, 20 recherches ont été exclues lors de l'analyse des titres et des résumés. Aucune étude double n'a été trouvée. Parmi les études évaluées dans l'analyse textuelle (n=25), l'étude de Mendes et al. (2021), Vega et al. (2014) et Pedraza et al. (2013) ont été exclues car l'analyse portait exclusivement sur l'évaluation individuelle des enfants de moins de 2 ans, sans élargir la relation familiale. Costa et al.(2022) a été exclue car elle traitait des femmes enceintes. La thèse de Baptista et al. (2019), l'étude de Santos et al. (2013), Custódio et al. (2012) et Segall-Corrêa et al. (2011) ont été exclues car elles n'associaient pas le PBF à l'IAN. Nous n'avons pas pu extraire les données brutes de l'étude de Cabral et al. (2006) car elle portait sur les changements de niveaux de revenus. Nous n'avons pas pu accéder à l'étude de Piperata et al. (2011). Ainsi, 15 études étaient éligibles pour composer cette revue 1.

Toutes les études incluses étaient de type transversal. En ce qui concerne la localisation au Brésil, 7 études ont été menées dans le nord-est, 2 études dans le sud, 3 études dans le sud-est et 1 étude dans le Midwest. L'étude de Poblacion et al. (2014) a été menée dans tout le pays et celle de Fachini et al. (2014) dans les régions du nord-est et du sud du pays.

Sur les 15 études incluses, 11 ont montré la prévalence de l'IAN dans le groupe des bénéficiaires du PBF.

Prévalence de l'IAN chez les bénéficiaires du programme Bolsa Família

La prévalence groupée de l'IAN dans les familles brésiliennes bénéficiant du PBF correspond à 70 % (IC à 95 %: 61-79 %), démontrée dans les études de Santana et al. (2023), Silva et al. (2022), Pacheco et al. (2018), Oliveira et al. (2017), Costa et al. (2017), Souza et al. (2016), Sperandio & Priori (2015), Sabóia et al. (2015), Nunes et al. (2014), Peixoto et al. (2014) et Ferreira et al. (2014).

Prévalence de l'IAN légère chez les bénéficiaires de la Bourse de la Famille

La prévalence regroupée de l'IAN légère dans les familles brésiliennes bénéficiaires du PBF correspond à 43 % (IC à 95 %: 37-49 %), démontrée dans les études de Pacheco et al. (2018), Costa et al. (2017), Sperandio & Priori (2015), Sabóia et al. (2015) e Nunes et al. (2014).

Prévalence de l'IAN modérée chez les bénéficiaires du Programme Bourse de la Famille

La prévalence regroupée de l'INA modérée dans les familles brésiliennes bénéficiaires du PBA correspond à 20 % (IC à 95 %: 11-29 %), démontrée dans les études de Oliveira et al. (2017), Sperandio & Priori (2015), Sabóia et al. (2015), Nunes et al. (2014), Peixoto et al. (2014) et Ferreira et al. (2014).

Prévalence de l'INA sévère chez les bénéficiaires du Programme Bourse de la Famille

La prévalence groupée de l'INA sévère dans les familles brésiliennes bénéficiaires du PBF correspond à 13 % (IC 95 %: 6-19 %), démontrée dans les études de Santana et al. (2023), Oliveira et al. (2017), Sperandio & Priori (2015), Sabóia et al. (2015), Nunes et al. (2014), Peixoto et al. (2014) et Ferreira et al. (2014).

Le tableau suivant permet d'établir des approximations entre les degrés d'INA dans la population incluse dans les études :

Tableau 1 - Caractéristiques de la méta-analyse des ratios pour l'INA, l'INA légère, l'INA modéré et l'INA sévère.

Discussion

La prévalence globale de l'INA parmi les familles bénéficiaires du PBF est élevée, en particulier l'INA classée comme légère (43%), suivie de l'INA modérée (20%) et de l'INA sévère (13%), reflétant une réalité similaire, bien que moins intense, par rapport à la population brésilienne en général. Les données du Réseau Brésiliénne de Recherche en Souveraineté et Securité Alimentaire e Nutritionnelle (PENSSAN), au début de la pandémie de Covid-19,indiquaient que 19 millions de brésiliens souffraient de la faim pendant la pandémie de Covid-19, soit le double du nombre de Brésiliens qui se trouvaient dans cette situation en 2004 (Vigisan, 2021).

La mise à jour de l'enquête a noté qu'environ 30,1 % des foyers[dp1] [M2]  ont connu la malnutrition, dont 15,5 % ont souffert de la faim (malnutrition sévère) (Vigisan, 2022). Malgré la reconnaissance de l'importance des programmes de protection sociale, tels que le PBF, dans la réduction de la faim dans le pays, qui a culminé avec la sortie du Brésil de la carte de la faim en 2018, la fréquence de l'INA parmi les familles en situation de vulnérabilité reste élevée dans le pays.

La Bourse de la Famille, le principal programme de transferts monétaires conditionnels au Brésil, a été associé à des améliorations en matière de santé, notamment en ce qui concerne la santé maternelle et infantile, et à une réduction de la mortalité infantile parmi les populations vulnérables. Toutefois, ses effets varient et dépendent de plusieurs facteurs, notamment la couverture municipale du programme, le groupe de population cible et la taille de la municipalité, qui est intrinsèquement liée à sa capacité à fournir des services essentiels en matière de santé et d'éducation (Ramos et al., 2021).

Plus de 5,2 millions d'enfants sont morts au Brésil entre 2006 et 2015.Une étude montre une réduction de 16 % de la mortalité infantile chez les enfants de moins de cinq ansau cours de cette période.La Bourse de la Famille a un impact très important dans les famillesavec des naissances prématurées, d'origine ethnique noire et à faible revenu(Ramos et al., 2021).

Le programme prévoit des versements réguliers en espèces (R$ 600,00 reais) aux familles à faible revenu avec enfants, aux femmes enceintes et allaitantes, ce qui garantit une certaine flexibilité aux familles - l'un des principaux avantages de ce type de programme par rapport à d'autres programmes de protection sociale, tels que l'utilisation de paniers alimentaires. En fournissant de l'argent liquide aux bénéficiaires plutôt que des produits alimentaires spécifiques, les familles peuvent choisir ce dont elles ont besoin d'acheter et préfèrent manger, en tenant compte, ainsi, de leurs préférences alimentaires et de leurs normes culturelles.

Des études antérieures menées au Brésil et dans plusieurs pays à revenu faible ou intermédiaire ont montré que cette flexibilité des transferts d'argent liquide peut entraîner une augmentation de la consommation alimentaire et une amélioration de la diversité du régime alimentaire, ce qui peut contribuer à prévenir la malnutrition et ses conséquences sur la santé.

Par exemple, une étude menée au Brésil a montré que les bénéficiaires de la Bourse de la Famille avaient un niveau de sécurité alimentaire plus élevé et consommaient plus de fruits et de légumes que les non-bénéficiaires (Martins & Monteiro, 2016). Toutefois, la valeur de la prestation ne suffit pas à éliminer la faim et l'insécurité alimentaire des foyers brésiliens, en particulier ces dernières années, lorsque le pays a été confronté au démantèlement et à l'abandon de plusieurs politiques publiques directement liées au maintien de la sécurité alimentaire et du droit humain à une alimentation saine.

La faiblesse des investissements dans l'agriculture familiale et dans le Programme de Acquisition Alimentaire (PAA) ainsi que le démantèlement du Conseil National de Securité Alimentaire Nutritionnelle (CONSEA) sont des exemples d'actions qui ont contribué à l'augmentation de la faim dans les foyers des familles brésiliennes, en particulier celles qui vivent dans des contextes de vulnérabilité sociale. En outre, ces dernières années, le pays a connu l'une des pires récessions, marquée par l'inflation des intrants "fondamentaux" qui constituent le panier alimentaire de base des familles brésiliennes, tels que le riz, les haricots, le lait et les sources de protéines animales, notamment le poulet et la viande rouge, ce qui a entraîné une baisse du pouvoir d'achat de ces familles.

Par ailleurs, dans le cas des programmes conditionnels, principalement sur les questions de santé et d'éducation, comme le PBF, les conditionnalités, à savoir la nécessité d'accéder périodiquement aux unités de santé et d'obtenir des conseils en matière d'alimentation et de nutrition, peuvent constituer une occasion unique de dialoguer avec les familles bénéficiaires sur l'éducation alimentaire et nutritionnelle, afin de contribuer à des choix qui respectent leurs habitudes et leurs cultures alimentaires.

Cependant, la réalisation de cet objectif se heurte encore à certains défis, car il n'est pas toujours possible d'accéder, avec qualité et de manière appropriée, à un dialogue sur l'éducation alimentaire et nutritionnelle qui réponde aux besoins des familles, ce qui nécessite des actions urgentes et intersectorielles entre les différents ministères, lorsqu'il s'agit de politiques de protection sociale.

Pendant la pandémie de Covid-19, la situation des INA s'est aggravée en raison de l'augmentation du chômage, de la réduction des revenus et de la fermeture d'entreprises. Ces facteurs ont particulièrement affecté les populations les plus vulnérables, entraînant une augmentation du nombre de personnes confrontées à des difficultés d'accès à une alimentation suffisante et saine.

Malgré les mesures d'urgence prises par le gouvernement fédéral, les États et les municipalités, le démantèlement d'importantes politiques publiques de protection sociale, qui s'est produit au début de 2018 et s'est prolongé jusqu'en 2022, notamment par l'extinction du CONSEA, l'aggravation de la crise économique, l'augmentation des inégalités sociales et la deuxième année de la pandémie de Covid-19 ont maintenu plus de la moitié (58,7 %) de la population brésilienne dans l'insécurité alimentaire, aux niveaux de gravité les plus divers au cours des années de pandémie(Réseau PENSSAN, 2022; Silva 2021).

Conclusions

Cette étude a cherché à cartographier la fréquence de l'insécurité alimentaire et nutritionnelle dans les familles bénéficiant du programme Bourse de la Famille, en vigueur depuis vingt ans au Brésil.

Parmi les résultats obtenus, nous soulignons l'impact du programme sur la vie des personnes en situation de vulnérabilité, en particulier dans les familles avec des naissances prématurées, d'origine ethnique noire et à faible revenu.

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