Depuis une quinzaine années, les enjeux économiques de la mondialisation, la multiplication et l’intensification des conflits géopolitiques, l’accentuation des écarts entre les pays de l’hémisphère Nord et de l’hémisphère Sud contraignent de nombreux jeunes à la migration et même à l’exil. Selon le dernier rapport de l’agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), 79,5 millions de personnes sont réfugiées ou déplacées dans le monde en 2020.
Sur le territoire français, l’arrivée conséquente de personnes migrantes bouleverse le paysage socio-économique. Elle génère des réactions sociales et des mutations dans les dispositifs sociaux avec notamment des répercussions directes sur la prise en charge des mineurs confiés à l’Aide sociale à l’enfance. Les dénonciations régulières de l’Organisation mondiale des Nations Unies (ONU) concernant la violation des droits humains lors de l’accueil des migrants et le traitement des mineurs non accompagnés (Clair-Robelet, 2019) démontrent une profonde instabilité dans la gestion française de la situation actuelle.
À Paris, plusieurs acteurs font état d’une situation qui se dégrade considérablement bien que le terme de « crise migratoire » soit encore contesté. Politiques, journalistes, magistrats, travailleurs sociaux, médecins, ils sont nombreux à dénoncer les échecs d’une politique d’accueil largement insuffisante qui s’illustre entre autres, par la présence permanente de campements clandestins dans la capitale depuis 2015.
Le foyer d’urgence au cœur d’un système d’acteurs complexe
Éducatrice spécialisée depuis sept ans dans le foyer d’urgence du département de Paris, je fais également le constat d’un territoire profondément impacté par ce contexte migratoire inédit. La prise en charge de nombreux jeunes migrants au sein du dispositif d’accueil d’urgence parisien met en exergue les enjeux politiques et institutionnels qui encadrent la question migratoire au sens large et attribue à cet établissement une place particulière.
Il est en effet tenu de « traiter » dans une temporalité courte et de façon inconditionnelle, des situations sensibles et singulières situées au carrefour entre la protection de l’enfance et la politique d’immigration. Ancré au sein d’un dispositif de protection de l’enfance en mouvement, l’accueil d’urgence est un système en tension permanente en charge de réagir à des situations nouvelles et inattendues. Ces mouvements, s’ils peuvent être perçus comme contraignants semblent également offrir une forme de dynamisme permanent, bénéfique voire nécessaire au travail social.
Dans le cadre d’une recherche exploratoire, j’ai cherché à mettre en évidence le système d’acteurs complexe qui pense et organise l’accueil des jeunes migrants à partir d’une enquête de terrain menée auprès de professionnels du champ de la protection de l’enfance, de l’immigration, de la justice et de l’urgence sociale. Selon leur champ de compétences et leur niveau de responsabilités, l’action de ces professionnels a un impact direct ou indirect sur la situation des jeunes migrants. L’objectif est de montrer quelles sont les interactions, les articulations et tensions entre ces acteurs ainsi que leurs effets sur le public et les pratiques professionnelles. Le choix de réaliser des entretiens en assurant une représentativité minimum en matière de champs d’intervention et de niveaux d’échelle, a été motivé par le fait qu’ils permettent le contact personnel avec les sujets de la recherche dans le milieu où ils évoluent, et ce en poursuivant un objectif de compréhension des acteurs et des processus sociaux (Paillé et Mucchelli, 2016).
Trois échelles d'acteurs aux temporalités propres
Si en France, les politiques publiques sont marquées par leur caractère sectoriel, la situation des jeunes migrants accueillis en urgence en protection de l’enfance se situe elle, à la croisée de plusieurs domaines et corps de métier qui interviennent dans des temporalités distinctes. Qu’ils se situent sur une échelle « micro » (le dispositif d’accueil d’urgence et le réseau d’acteurs en contact direct avec le public sur le territoire parisien), sur une échelle « méso » (le Département de Paris et la DASES, les ministères de l’Immigration, de l’Intérieur, des Solidarités, de l’Éducation nationale, etc.) ou sur une échelle « macro » (les politiques, institutions et organisations européennes et mondiales), les acteurs que ces situations regroupent développent chacun à leur niveau des méthodes, des pratiques, des stratégies pour tenter de répondre aux exigences de ces prises en charge. Si le système dans lequel ces acteurs opèrent apporte une diversité dans les solutions proposées et une richesse dans l’analyse, il apparait également comme étant peu structuré, générateur de tensions autour des enjeux politiques forts, de l’aspect budgétaire, des identités professionnelles marquées et du rapport que chacun entretient avec la notion d’urgence.
Ce qui pose problème dans le cadre de l’accueil des jeunes migrants en foyer d’urgence prend racine dans un contexte spécifique qu’il est nécessaire de relier à l’histoire de la protection de l’enfance et à celle de l’immigration en général, afin de ne pas aborder la situation de façon réductionniste. Les apports de la systémie permettent précisément de mettre en lumière l’importance du contexte et des interactions entre les acteurs d’un système ouvert pour mieux comprendre une situation problématique. Edgar Morin souligne que la pensée complexe s’oppose à la pensée simple qui juxtapose des éléments divers sans créer de liens entre eux, et devient « l’intelligence aveugle, qui détruit les ensembles et les totalités et isole tous ses objets de leur environnement » (2005, p.19). Celle qui évoque le déséquilibre et le mouvement explique que l’intelligibilité d’un système réside dans la compréhension de ses relations à son environnement, de ce qui s’échange à sa périphérie et non pas uniquement de ce qui se passe à l’intérieur (Janvier, 2010).
Dans ce système d’acteurs complexe, la re-contextualisation des différentes temporalités par les acteurs, que Marc Bessin (2013) nomme la temporalisation demeure essentielle pour agir en fonction des conséquences que cela a sur la situation des jeunes. L’auteur situe par ailleurs le care dans la tension entre protection et contrôle, une dimension au cœur de la notion de parcours qui semble être pour certains acteurs, un enjeu majeur pour la prise en charge jeunes migrants.
L'accueil des jeunes migrants, une question « urgente »
De façon unanime, les acteurs évoquent un contexte extrêmement tendu. L’existence d’enjeux forts autour de l’accueil et de la prise en charge des jeunes migrants demeure, d’autant plus qu’ils constituent un public hétérogène, particulièrement affecté par la situation. Il s’agit de mineurs ou de jeunes adultes majoritairement hommes et de nationalités très diverses, bien souvent en situation d’errance à Paris vivant pour certains un phénomène de migration secondaire après avoir été pris en charge dans un autre pays de l’Union européenne. Leur état de vulnérabilité évident accroît le risque de récupération par des réseaux criminels et encourage la délinquance. Le parquet des mineurs de Paris souligne que 68% des déferrements concernent des jeunes migrants.
Malgré ces caractéristiques communes, les acteurs prennent le soin de qualifier ces jeunes en fonction de leur angle de vue et de leurs connaissances. De qui parlent-ils réellement ? « MNA », « MIE », « migrants », « exilés », « réfugiés », les multiples appellations reflètent le flou qu’il existe autour de ce public et de sa prise en charge. Ses qualificatifs confèrent d’ailleurs un statut propre aux jeunes et des droits différents. L’appellation « migrant » est communément utilisée pour des jeunes qui ne sont rattachés à aucun dispositif précis. Davantage utilisé par les acteurs des niveaux méso et macro, cette classification est également retenue par les politiques publiques, ce qui découle du fait qu’aucune directive claire n’est énoncée en faveur de ce public alors considéré comme une population « en migration ». Cette absence de statut implique une absence de droits et d’obligations ce qui est contraire au souhait d’intégration durable de ces jeunes.
Le public « jeunes migrants » fait ainsi davantage l’objet d’une prise en charge dans le cadre de l’urgence, ce qui rend difficile la prise en compte globale de leur problématique. Bien souvent, c’est la mise en évidence par les acteurs d’un aspect de leur situation qui permet au jeune de correspondre à un dispositif et de construire à partir de cela, un projet de vie plus solide.
Alors que le soutien juridique et l’accompagnement vers l’insertion professionnelle sont pointés par les acteurs comme étant des besoins centraux, ces derniers se heurtent à la réalité de la prise en charge d’un public fragile, d’un fonctionnement cloisonné des dispositifs actuels et de l’absence de personnel qualifié sur une échelle micro qui permettrait pourtant de rendre effectif le droit des jeunes. La temporalité nécessaire pour répondre à ces besoins croise l’urgence avec laquelle sont gérées les situations de ces jeunes, qui continuent à se dégrader. Si l’ensemble des acteurs repère dans l’état des lieux une situation évolutive, complexe, voire dangereuse ainsi que des besoins spécifiques aux jeunes migrants, l’urgence ne se situe pas de la même manière pour tous ce qui impacte les parcours.
Le parcours aléatoire des jeunes migrants en protection de l'enfance
Aux prises avec des enjeux pourtant proches voire similaires, les politiques de la protection de l’enfance et celles de l’immigration souffrent d’une opposition marquée. Dans ce contexte migratoire pesant, les enjeux autour de la détermination de l’âge, de l’évaluation des particularités de la situation (Mineurs Non Accompagnés, victimes de la Traite des Êtres Humains, réfugiés, etc.), le caractère saturé des dispositifs d’accueil mettent en lumière l’existence de dissonances fortes entre ces politiques sociales. L’accueil en urgence des jeunes migrants constitue une situation particulièrement fragile qui nécessite la coordination de nombreux acteurs.
Le centre d’accueil d’urgence demeure bien souvent le premier lieu de placement pour les jeunes. Il correspond ainsi à une temporalité durant laquelle un nouveau parcours est initié. Selon Gilles Séraphin (2014, p.48), la notion de parcours invite à « considérer l’ensemble d’une personne, avec son histoire, son parcours de vie et ses projets, et d’élaborer à cette fin de nouveaux cadres juridiques et professionnels ». Ces jeunes au parcours migratoire lourd et bien souvent traumatisant, accumulent les ruptures et sont les cibles d’une politique migratoire instable qui fragilise leur statut d’étranger ; ce dernier semble alors constituer un frein à leur demande de protection. La catégorisation, le diagnostic de la situation que le centre d’accueil d’urgence participe à mettre en œuvre, apparaît alors tout aussi déterminant pour la suite de leur parcours. Cette notion implique en effet une temporalité longue et transversale qui oblige à effectuer des modifications dans l’accompagnement, mais aussi dans les logiques institutionnelles et catégorielles. Pour les jeunes migrants, le risque d’être exclus et de perdre toute place dans la société plutôt que d’être protégés reflète tout l’enjeu de leur classification et la reconnaissance de la singularité de leur situation.
En cela, l’analyse que font les professionnels de l’urgence impacte inévitablement le parcours des jeunes migrants. Au-delà de la frontière marquée entre majorité et minorité, certaines particularités influencent la prise en charge : une maladie grave, l’entrée dans la délinquance, la reconnaissance du statut de victime TEH sont des situations qui du fait de leur caractère urgent et prioritaire, permettent à ces jeunes d’être protégés plus rapidement. Il ressort également de l’enquête qu’il existe des différences de traitement entre les jeunes migrants en fonction des nationalités ce qui accentue les tensions entre les acteurs qui ont chacun une part d’influence sur ces critères divers. Dans ce contexte, les structures d’accueil d’urgence sont en difficulté pour prendre en charge cette population et sont contraintes d’adapter leur fonctionnement et leurs pratiques.
Comme le rappelle Christophe Daadouch (2017), les professionnels sociaux interviennent à chaque étape de la prise en charge des jeunes migrants : de l’évaluation de la minorité et de l’isolement à l’accompagnement. Ils sont donc des acteurs incontournables des politiques migratoires. Pourtant, la temporalité dans laquelle ils interviennent semble singulière et les observations qu’ils font des réalités du terrain diffèrent de celles des autres acteurs. L’auteur évoque un « isolement politique », les professionnels sociaux se situant en première ligne des évolutions de la situation des jeunes migrants et bien souvent démunis face aux enjeux politiques et éthiques.
Finalement, la notion de parcours, centrale dans le domaine de la protection de l’enfance ne s’applique pas toujours aux situations des jeunes migrants qui connaissent des aléas en fonction des différentes phases d’évaluation. Le parcours est une notion d’ensemble qui englobe ce qui ne correspond pas à la réalité des situations de ces jeunes migrants qui vivent des prises en charge saccadées (juridique d’un côté, le soin et la scolarité de l’autre, etc.). Cette réalité accroit le malaise dans les structures d’urgence tandis que d’un autre côté, ces spécificités font aussi de l’accueil d’urgence un lieu particulièrement dynamique ainsi qu’un poste d’observation unique.
Des acteurs plus ou moins bien identifiés
L’enquête de terrain a permis de mettre en évidence la reconnaissance par les acteurs du rôle central de l’État et du Département de Paris dans la problématique des jeunes migrants. Elle pointe son importante responsabilité et l’influence qu’il a sur les autres acteurs bien qu’en comparaison au secteur associatif, le secteur public parait plus rigide et agit dans une temporalité plus longue.
Alors qu’à l’échelle européenne, la recomposition du paysage migratoire constitue à l’heure actuelle un enjeu majeur, les recommandations faites aux pays membres sont confuses et invisibilisées par les directives nationales. L’auteur Simon souligne une contradiction majeure dans le principe de la mondialisation des flux et des dynamiques migratoires qui «brouillent les schémas de l’analyse classique et gênent la formulation des politiques migratoires» (2008, p.7). Celle-ci engendre en effet le durcissement des politiques sécuritaires, le renforcement des barrières voire la militarisation des frontières rendant les routes et itinéraires impraticables. Ce contexte global - qui devrait inciter les acteurs internationaux et européens à s’organiser - constate à l’inverse des mouvements contradictoires tels que le repli sur eux-mêmes des pays et la montée des courants nationalistes.
La diversité des contextes socio-économiques et des politiques nationales sur la question migratoire engendre un phénomène de saturation pour certains pays et des différences majeures dans les prises en charge. Si la gestion des flux migratoires ne se limite pas à la gestion par les États, le travail partenarial est davantage entrepris sur le volet répressif. Pourtant, certains se refuse encore à appliquer les normes juridiques internationales et règles maritimes ce qui met en évidence la difficulté des autorités publiques à respecter les droits humains et l’accès aux droits des personnes qui arrivent sur le continent européen. La situation migratoire actuelle réside ainsi en une question humanitaire, juridique et politique.
Le respect de la justice sociale se trouve justement au cœur du travail social. Dans le contexte de la migration, l’articulation entre le travail humanitaire et le travail social semble nécessaire, en se positionnant respectivement sur l’extérieur et l’intérieur du système. Le travail social en tant que profession - dans l'éducation et la pratique - a un rôle important à jouer pour faire progresser les droits humains des migrants et des réfugiés, une fois arrivés sur le territoire. Les macro-contextes façonnent la pratique du travail social auprès des migrants et des réfugiés en montrant leur rôle clé pour faire avancer les droits et les intérêts de ceux qui fuient les conflits, les catastrophes économiques ou naturelles, ou d'autres situations de crise. Il semble que le progrès collectif se concrétise au travers des réussites obtenues dans les cas individuels de personnes qui accèdent à leurs droits. Précisément, le travailleur social permet dans le cadre ces situations extrêmement sensibles, de faire le lien entre ces acteurs.
Enfin, les professionnels interrogés dans le cadre de cette enquête mentionnent les migrants comme de réels acteurs de la situation qui activent et influent sur le parcours. Ils observent sur le terrain la manière dont les jeunes migrants utilisent leurs compétences et savoir-faire pour pallier le manque de moyens des dispositifs. D’un autre côté, il semble que la visibilité de la problématique à Paris est à mettre en lien avec l’implication importante des habitants des quartiers investis par les migrants, qui deviennent également des acteurs à part entière. Ce que Kraft (2019) nomme une « prise de conscience citoyenne » correspond précisément à cette mobilisation croissante des parisiens depuis 2015 au-delà des militants et du milieu associatif, ce qui permet d’élargir le réseau et de créer d’autres possibilités d’actions.
Des références variées qui clivent et encouragent les enjeux de pouvoir
Prendre en compte les différences fondamentales qui caractérisent les niveaux d’acteurs notamment sur les questions éthiques, apparaît essentiel pour saisir les tensions existantes. Christophe Daadouch (2017) explique que le champ du social est singulier car il observe une grande diversité d’opinions et de valeurs chez les professionnels qui ont inévitablement des conséquences sur le public qu’ils accompagnent. Sur cette thématique particulièrement, les acteurs se rassemblent ou s’opposent autour de valeurs communes ou contraires sur les politiques d’intégration, le droit des étrangers, la protection des enfants, le fonctionnement de l’Europe sociale, etc. L’auteur évoque un «équilibre rompu» dans le champ de l’immigration, qui ne décèle pas de réelle complémentarité dans la relation entre les pouvoirs publics et les associations. Les logiques d’appels d’offres issus des traités européens fragilisent également les rapports dans le secteur associatif.
Par ailleurs, les références notamment législatives que saisissent les acteurs pour organiser leur action traduisent la manière dont ils se positionnent sur la question. Les liens faits avec les textes de lois et la façon dont ils les rattachent au contexte sont davantage évoqués par les cadres ou les acteurs de la dimension macro. Les professionnels de terrain qui sont aux premières loges des évolutions vécues par cette population et ce secteur, semblent davantage mobilisés sur la manière dont ils vont pouvoir s’adapter «en temps réel». Ces changements interviennent dans des temporalités courtes ce qui diffère de la temporalité des avancées législatives. Si les textes de loi devaient constituer des repères stables pour chacun des acteurs, les travailleurs sociaux semblent davantage se fier aux observations qu’ils font des situations ainsi qu’aux valeurs qu’ils défendent dans leur corps de métier spécifique. Manuel Boucher (2010) précise pourtant que l’action sociale ne doit pas se contenter des actions d’assistance, de «gestion des risques» et de neutralisation des désordres sociaux. La priorité devrait être de favoriser la re-politisation de l’autonomie d’action et de réflexion avec la reconnaissance sociale des acteurs sociaux et cela implique une connaissance du droit et des législations dont le secteur dépend.
La particularité du secteur associatif militant est visible dans les nombreux articles de presse qui mettent en avant les actions menées par certains collectifs. Ces derniers se démarquent par leurs nombreuses références au Défenseur des droits, aux textes européens et internationaux qui encadrent les politiques publiques françaises. Ce secteur spécifique qui comprend des équipes pluridisciplinaires jouit d’une plus grande marge de manœuvre pour dénoncer les manquements de l’État en s’exprimant notamment sous la forme de plaidoyers.
D’ailleurs, Pierre Muller (2018) distingue la particularité du management public par rapport au privé dans la question financière à respecter mais aussi le degré de réalisation des objectifs fixés par les élus. Compte tenu des enjeux européens et internationaux existants autour de cette question, ces derniers se retrouvent avec une marge de manœuvre restreinte dans les propositions d’actions. L’auteur indique également que la construction de représentations fondées sur des valeurs, des normes, des images qui font sens, permet d’élaborer une politique publique plus adaptée en facilitant les relations entre acteurs.
Avec l’implication de plus en plus d’acteurs qui évoluent dans des temporalités et domaines divers, l’accueil des jeunes migrants est un sujet éminemment politique. La médiatisation de la situation des migrants au regard du rôle central des divers médias dans l’agenda politique encourage les enjeux de pouvoirs. Une fois médiatisées, les situations prennent d’ailleurs une dimension « urgente » sur le plan macro, exerçant une pression sociale qui incite à une nouvelle organisation et à la mise en place de projets qui pourraient permettre aux acteurs de se démarquer, de se valoriser.
La place primordiale des traducteurs et des intermédiaires
L’enquête de terrain menée met en lumière l’importance de la transmission des réalités de chacun des acteurs pour une meilleure compréhension de la situation, une vision plus globale qui prend en compte sa complexité et la multitude d’acteurs engagés. Pour faire face aux situations d’urgence, il est évident que le travail collectif doit être privilégié pour sauvegarder les valeurs des travailleurs sociaux et instaurer une relation de confiance entre les acteurs.
Le travail social radical tente de comprendre l’impact du néolibéralisme et les transformations sociales, économiques et politiques qui en découlent, sur l’activité des travailleurs sociaux, ses méthodes et ses fondements. Iain Ferguson et Michael Lavalette (2013) expliquent précisément que l'accroissement des inégalités et de la pauvreté, la privatisation des services publics et la façon dont les régimes néolibéraux limitent la pratique du travail social, encouragent les acteurs à trouver des espaces autres ayant le sentiment que ces questions ne sont pas pleinement articulées dans la littérature sur le travail social. En cela, le travail social radical favorise des lectures plus macro-sociales et politiques de l’environnement des travailleurs sociaux.
Par ailleurs, il semble primordial de mener des réflexions autour de l’accessibilité et de la traduction en soutenant la place et le rôle des intermédiaires. Les chargés de missions, les délégations interministérielles, les observatoires, les associations militantes représentent chacun à leur échelle, des passerelles pour alimenter les pratiques et finalement orienter les politiques publiques. Sur chaque niveau d’acteurs, la présence de ces intermédiaires est essentielle pour créer du lien. Le secteur universitaire est également identifié comme étant un accès à l’évolution des pratiques. La valorisation de la recherche action ainsi que la garantie de l’indépendance des sujets de recherche fait de ce champ un liant entre les acteurs concernés. De plus, il me semble que l’ingénierie sociale est un secteur particulièrement adapté dans le cadre de ces problématiques. En effet, les notions d’étude, d’inventivité, de projet, d’approche plurielle, globale et pluridisciplinaire qu’il prévoit semble correspondre au profil d’un acteur intermédiaire. Selon les auteurs Trémeau, Pillant et Guglielmi (2019), il s’agit d’une démarche compréhensive qui porte le souci d’un dépassement de la sectorisation de la société.
De manière générale, les résultats de cette enquête encouragent la démarche de recherche à demeurer un « moteur » du terrain et citent le secteur de la formation comme une piste d’action centrale. Il s’agit en effet de former les étudiants à appréhender ces questions toujours plus complexes et d’inclure dans les programmes pédagogiques des savoirs produits par l’expérience du public. Si la recherche peut être subversive dans ce qu’elle amène comme espaces intellectuels de turbulences au sein des institutions, l’articulation et la confrontation de connaissances produites par des chercheurs professionnels ainsi que par des publics accompagnés demeurent vitales pour comprendre le sens de l’action sociale aujourd’hui.
Conclusion
Les interactions et tensions existantes entre les acteurs de ce système se mesurent principalement sur des différences de temps et de rythme. Ces articulations entre les niveaux permettent de mettre en évidence des pratiques émergentes et des acteurs intermédiaires qui se distinguent par leur impact déterminant sur les mouvements du système en tenant compte des rapports de pouvoirs qui s’établissent entre eux.
À l’heure actuelle, une nouvelle phase de l’action publique axée sur le gouvernement durable - avec au centre la question environnementale – est lancée. Il semble que l’harmonisation des pratiques européennes et l’articulation des politiques publiques françaises autour de la question migratoire soient précisément au cœur de ces mouvements que la crise sanitaire actuelle complexifie davantage.
Si l’accueil en urgence des jeunes migrants mobilise une multitude d’acteurs, les pistes d’action évoquées dans cet article semblent correspondre aux « nouveaux défis » sociaux auxquels sont confrontées les populations et pourraient ainsi s’étendre à d’autres problématiques du travail social qui se démarquent par leur complexité.
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