Introduction
Comme beaucoup aujourd’hui de par le monde, je suis, tu es, nous sommes confinés. Ce mot viendrait du latin confinis, (qui a la même limite), de cum (avec) et finis, (fin, frontière). Nous ne sommes pas aux confins de…nous, du monde, etc. nous sommes au sein de la même limite, isolément et ensemble. Dans ce contexte, j’observe que le COVID -19 pourrait bien être un révélateur du « texte caché », celui qui est écrit à l’encre invisible, qu’on appelle aussi encre sympathique !
Cette encre, je devrais dire ces encres, ont beaucoup été utilisées pendant les deux grandes guerres mondiales. Ce sont des encres de résistance qu’il est possible de rendre visibles à la flamme d’une bougie ou avec différentes substances comme le citron ou le vinaigre. Ici, c’est un virus et le texte caché relève de l’infra-politique.
« L’infra-politique est (…) essentiellement une forme stratégique que la résistance des sujets doit prendre lorsqu’elle est soumise à un trop grand danger. (…) Les impératifs stratégiques de l’infra-politique ne la rendent pas seulement différente en degré des politiques publiques des démocraties modernes : ils imposent une logique totalement différente de l’action politique. Aucune revendication publique n’est faite, aucune ligne symbolique n’est tracée. Toute action politique prend des formes conçues pour masquer ses intentions ou pour les dissimuler derrière un sens apparent. Pratiquement, personne n’agit en son nom pour des raisons voulues : cela irait à l’encontre du but recherché. C’est précisément parce qu’une telle action politique est scrupuleusement conçue pour être anonyme ou pour nier son but, que l’infra-politique appelle davantage qu’une interprétation réductrice. Les choses ne sont pas exactement ce qu’elles semblent être ». (Scott, 2006, p.27)
Après le temps de stupeur et de colères confuses qui a caractérisé les premiers jours de la « guerre » contre la pandémie, j’ai pu observer des mouvements aussi diffus que profonds non pas en termes de distanciation sociale mais concernant des formes renouvelées de distances sociales, toutes sous- tendues par des rapports de et au pouvoir : pouvoir à entendre ici dans le sens de « potestas » ou volonté de dominer le monde mais aussi dans le sens de « potentia » c'est-à-dire recherche des possibles pour le faire évoluer. C’est dans ce deuxième registre, qu’il me semble possible de parler d’infra-politique.
Le point d’où je parle est celui d’une formatrice dans un IRTS à l’interface entre la formation initiale, la formation continue et la recherche.
Pédagogie et jeux de pouvoir
Eléments de contexte
Au moment de la fermeture de l’établissement le 13 Mars, nous sommes au milieu d’un Module que nous appelons Développement Social Local et qui concerne trois promotions de 2ème année. Jusqu’alors ce module ne concernait que les Educateurs Spécialisés et les Educateurs Techniques Spécialisés. Réforme oblige, il s’adresse aussi cette année aux Assistants de Service Social. Cette nouveauté et la démographie des salariés de l’établissement reconfigurent les conditions d’organisation de cet espace pédagogique. Je suis à l’origine et aux manettes du module depuis 15 ans et je pars à la retraite en fin d’année, de nouveaux collègues ont été embauchés. S’appuyant sur un solide réseau local construit au fil du temps et des expériences partagées, le module s’étale de Novembre à Juin et met les étudiants en situation de co-construction avec les différents niveaux d’acteurs en réponse à des besoins et/ou des envies émanant des uns et des autres.
Cette année plusieurs groupes apportent leur contribution à une action sur le territoire où se trouve l’IRTS. Elle a pour titre « Ville fertile » et se situe dans le prolongement d’une recherche-action démarrée en 2009 sur l’agglomération « Pour une nouvelle gouvernance de l’urgence et de l’entre aide alimentaire ». Plusieurs actions ont vu le jour à cette occasion et la plupart perdurent aujourd’hui : jardins collectifs ou partagés, circuits courts, évènements conviviaux, etc. Il y a eu depuis tout un travail de concertation pilotée par la Communauté d’agglomération et aboutissant à la définition d’un Projet Alimentaire Territorial (PAT) Le présent projet « trouve son origine dans ce qui fonde la légitimité de l’intervention sociale et s’attache à tenter de substituer l’espoir collectif au désespoir individuel au travers d’actions visant à une réappropriation citoyenne de l’espace public. Ce faisant, il contribue au « Bien vivre ensemble » et à la cohésion sociale. Dans le même temps, le projet « Ville fertile » est contributif d’un projet plus global de territoire sur l’axe du développement durable et de la promotion de la biodiversité et par ailleurs sur celui faisant de l’alimentation une politique publique à part entière dans le cadre du PAT »
Nous travaillons en étroite collaboration avec la ville et une trentaine d’acteurs institutionnels ou associatifs sont engagés. C’est toutefois une action qui ne peut que s’inscrire dans la durée. Dans le compte-rendu du dernier COPIL, on lit par exemple « Dans les initiatives les plus anciennes sur la ville (Collectif des habitants du Grand Parc, jardin éco citoyen et jardins partagés de l’IRTS) la même question se pose au-delà des contextes différents : comment faire vivre un collectif dans la durée ? Comment assurer un fonctionnement qui prenne en compte la parole de chacun quand les groupes sont variables, les personnalités et éventuellement les convictions différentes ? Comment mettre en place des actions qui heurtent certains voisins (ex le compost attire les nuisibles et les poules provoquent des nuisances sonores). Dans les initiatives nouvelles, l’ordre des questions est inversé (celle de l’acceptation par les voisins d’initiatives qui transforment l’espace public) mais l’enthousiasme du départ n’exclut pas les autres questionnements »
Il reste donc du travail. Un évènement fédérateur que, localement depuis le début de la première recherche-action, nous appelons « le Hameau des Possibles » était prévu pour le 10 Juin.
Parmi les autres groupes, certains interviennent dans des structures qui accueillent des Mineurs Non Accompagnés, auprès de deux tiers lieux- l’un ayant créé ce qu’au Québec on appelle une accorderie, l’autre un restau solidaire –ou encore des projets de développement en milieu rural, en IME, etc.
Des postures divergentes qui ne disent pas leur nom
Bien avant « l’arrêt sur image » du 13 Mars, un certain nombre de dissensions au sein de l’équipe pédagogique sont apparues sans toutefois avoir été clairement verbalisées. Elles se cristallisent essentiellement autour de trois objets : la place de la méthode, abusivement nommée méthodologie, la question de l’évaluation et la place des outils de communication numériques.
Qui a expérimenté, ne serait qu’un peu, les logiques de DSL sait l’importance du temps pour que progressivement de la rencontre entre des points de vue et des niveaux d’expression différents, naisse un Commun, un socle sur lequel peuvent fleurir des dynamiques à la fois multiples et cohérentes entre elles. A cela, certains collègues ont opposé la logique qui prévaut dans la plupart des appels à projets aujourd’hui : définition d’objectifs généraux et opérationnels, moyens et critères d’évaluation a priori, échéancier sur un temps court. Le plus délicat dans le réel, c’est – après un temps d’immersion dans une structure donnée – de rentrer en relation avec ce qu’il est convenu d’appeler les personnes concernées (abus de langage là encore, comme si la pauvreté étant la seule affaire des pauvres !) et d’établir un lien de confiance suffisant pour qu’émerge une parole sincère.
Dans la situation présente, après seulement trois jours sur « le terrain », un message posté aux étudiants concernés le 24 Décembre leur demandait de faire un premier travail de synthèse évoquant notamment les « logiques de coopération entre les acteurs sur le territoire », ce travail à effectuer en groupe devant servir à valider le semestre. Après la période des fêtes dédiée à la poursuite des stages et/ou à de brèves vacances, les étudiants en ont été réduits à consacrer leur 4ème journée de DSL à effectuer ce travail écrit. En réalité, il semble que l’évaluation et plus encore la validation soient désormais la porte unique d’entrée quelque soit au demeurant le domaine de formation concerné. En souffrance, beaucoup regrettent de n’avoir pas le temps de penser. Ce qui est le cas en même temps que peut-être l’objectif visé ! L’actualité la plus récente permet en tous cas de se poser la question.
L’établissement, comme tant d’autres, ferme donc le 13 Mars et s’installe le confinement. Je ne commenterai pas cela ici. Mais comment dés lors assurer la « continuité pédagogique » ? Un article, posté sur le blog de Médiapart début Avril donne une lecture intéressante de cette notion aujourd’hui : « Pour Blanquer, la continuité pédagogique doit s’inscrire dans la transmission de « contenus » effectuée par l’intermédiaire des outils numériques préparés par les services ministériels. Cela fait, il devient possible, alors, d’« évaluer » le travail effectué par les élèves et les étudiants. (…) Si, comme l’écrivait Jacques Ardoino, « la question pédagogique par excellence devient alors celle d’une articulation réussie entre les visées légitimes d’une intégration sociale, d’une adaptation à un ordre existant des choses, et le développement d’une capacité, personnelle et collective, de transgression », alors force est de constater que la méthode développée par Blanquer est très loin du compte car seule la dimension normative, celle qualitativement la plus discutable, est présente. Or, c’est bien la négativité de cet instant pédagogique qui importe, à savoir le développement d’une capacité de transgression sans laquelle disparaîtrait la relation dialectique entre l’« institué » et l’« instituant ». Si l’existence de l’instituant est remise en cause par la domination normative de l’acte pédagogique, ici par les modèles de transmission numérique des connaissances, alors l’éducation elle-même se met en danger.»
Qu’à cela ne tienne, mettons nous en danger ! J’ai entre temps été mise hors des circuits de communication de l’équipe pédagogique par un petit groupe de collègues qui prennent la main – déjà considérée comme retraitée, je suppose ! – et j’apprends par des étudiants qu’ils doivent aller sur tel site, participer à tel MOOC et faire des résumés de théories complexes en une page, une dissertation sur « COVID-19 et lien social » en 2 pages, répondre à tel QCM et j’en passe, le tout sur des temps très courts.
Des formes infra-politiques de résistance s’organisent
La pédagogie, me semble t’il, est une affaire de rencontre, une rencontre pleinement acceptée entre sujets pensants. Le maître a autorité dans la mesure où il autorise à…où il instaure une relation basée sur le donner, recevoir et rendre comme l’a si bien formulé Marcel Mauss. C’est une relation dialogique « Le fait qu’aucune éducation n’est neutre explique la nécessité d’une éducation profondément « dialogique ». L’éducation est toujours une action soit de domestication, soit d’émancipation. C’est cette dichotomie qui nous fournit le point de départ du comment conscientiser; comment entrer dans ce processus en « tant qu’agents et créateurs de notre monde », par une approche critique et permanente de cette réalité « afin de la découvrir, et afin de découvrir les mythes qui nous déçoivent et qui nous aident à maintenir des structures oppressantes et déshumanisantes » (….) « L’émancipation et la participation engagée en vue de la transformation sociale (…) requièrent le développement de la capacité individuelle et groupale de comprendre, assumer et prendre des décisions pour transformer la réalité qui nous entoure. Toute pédagogie émancipatrice, en tant que pédagogie de l’action, doit en permanence chercher à mettre en lien la connaissance de la réalité avec le besoin et l’envie d’agir sur elle, le développement des savoirs nécessaires à la réalisation de l’action avec le pouvoir de comprendre et d’agir, indispensables pour mettre en œuvre la transformation » (Garibay et Séguier, 2009, p29)
Dés lors, que dire et que faire si ce n’est prendre le maquis et rentrer en résistance ? Et c’est bien ce que les étudiants et moi faisons désormais, sans fusion ni confusion.
Par mails ou par téléphone, nous prenons des nouvelles des uns et des autres. Certains travaillent dans le contexte qu’on sait : personnes jeunes et adultes confinées dans des conditions plus que précaires, aucunes ou très peu de protections. D’autres, enfin, souhaitent mettre en place des initiatives de solidarité dans leur environnement proche et nous réfléchissons ensemble aux conditions concrètes de mise en œuvre.
Pour les exigences de productions écrites dont on attend qu’elles soient produites plus qu’elles ne permettent d’élaborer un réel pourtant incroyablement anxiogène, j’essaie de mettre mes quelques savoirs au service des étudiants, nous mettons en commun et en débat nos questionnements. Ils m’informent de leurs réalités respectives. J’observe au travers nos échanges que des formes multiples d’entraide se développent entre eux. Nous nous sommes dotés de règles à ce jeu : je refuse d’avoir accès à leurs outils propres de communication car cela leur appartient. Le Commun, sur quoi j’interviens, c’est l’autorisation à penser. C’est l’enjeu central, me semble t’il dans un moment où l’impensé justement est en risque d’envahir la capacité à élaborer collectivement le réel, et –ce faisant – nous sommes clairement dans le champ du politique.
Re COnaissances sociales ?
Sur fond de politiques libérales
La pandémie de COVID-19 en France est identifiée à partir du 24 janvier 2020, quand trois premiers cas sont recensés sur le territoire. Cela fait pratiquement trois ans, trois longues années, qu’un grand nombre de citoyens se précipitent au quotidien dans la rue et sous les coups, pour tenter de s’opposer aux multiples réformes libérales qui s’enchainent : suppression de l’ISF, ordonnances travail, réforme du statut de la SNCF, du chômage, des retraites, suppression de postes et de moyens dans le secteur public (dont la santé),…rien ne semble devoir être épargné.
Toute nouvelle conquête de parts de marché y est précédée et accompagnée d’un discours pseudo rationnel destiné à jeter le discrédit sur ce qu’il convient de détruire. Plantes, mais aussi humains sont également qualifiés de « mauvaises herbes », les unes et les autres se transformant en choses mortes. Nous sommes bien en état d’urgence. Et celui-là déborde du lit trop bétonné de nos vies. Replis identitaires, cris étranglés, peur des autres — mais aussi de nous-mêmes — altèrent notre capacité à faire commun. C’est qu’aujourd’hui, nous faisons face à des formes inédites et acéphales de violence sociale entre délire de toute-puissance et vécu intime et sans cesse renouvelé de la toute impuissance et que l’État est désormais au service d’une économie spéculative en même temps qu’insoutenable écologiquement. Ce système, qui se veut tout-puissant, instrumentalise ce que William Reich (2006) appelait la « peste émotionnelle », et norme de l’intérieur les corps et les âmes transformant les humains en êtres déracinés et dissociés : hors sol, hors histoire, hors territoires.
Et ces « mauvaises herbes » là « coûtent un pognon de dingues » tout comme ceux qui les accompagnent, les travailleurs sociaux, sommés de gérer ces stocks et ces flux de pauvres pour les ramener à des « activités productives », c’est-à-dire créatrices de la seule richesse qui vaille : le profit financier de quelques-uns. Qu’importe que ces « activités productives » décroissent dans l’exacte mesure où s’amplifient les effets de la mondialisation financiarisée. La Ministre Buzin affirme en Septembre 2018 que « Nos politiques publiques ont progressivement basculé, à rebours de l’évolution des besoins sociaux des dernières décennies, vers des logiques largement curatives. Elles donnent aux personnes pauvres les moyens de survivre, mais sans perspective de sortie et d’autonomie par le travail. Cette inertie sociale, cette logique d’assignation, est un démenti permanent à la promesse républicaine méritocratique. L’enjeu de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, en partant des exigences portées par les personnes en situation de pauvreté, c’est de sortir de cette fatalité subie trop souvent dès les premiers pas de la vie, c’est d’en finir avec une société de statuts pour permettre la mobilité sociale, l’émancipation, la maîtrise de son destin par l’éducation et le travail »
Le logiciel de pensée est ici parfaitement clair. L’évolution des besoins sociaux n’est pas mise en lien avec leurs causes — et principalement le modèle économique néolibéral. En revanche, le principe redistributif est discrédité au prétexte de ce qu’il serait « curatif ». Faut-il comprendre que soigner n’est plus à l’ordre du jour ? Quoiqu’il en soit, l’évolution objective du marché du travail (hautes technologies dans le process de production et donc diminution du travail humain, financiarisation et mondialisation de l’économie et donc réduction des effectifs) est niée au profit de l’injonction faite à tous de se lancer dans le marché très concurrentiel du travail salarié. Un des moyens de pression est la précarisation du statut.
L’argumentaire est ici particulièrement pervers : prétendant refuser la « logique d’assignation », il organise de fait la généralisation du précariat au nom de la « responsabilité » individuelle et de la « méritocratie ». Dans ce cadre, le travail social est censé être l’un des bras armés de ce qu’il est désormais convenu d’appeler la commande publique. Commande publique - mais n’est-elle pas au contraire privée ? – bras armé : le champ sémantique est décidément miné.
Du premier de cordée à la ligne de front
Arrive la pandémie : une panique généralisée (et légitime) s’installe. C’est que dans un premier temps, le virus se montre très démocratique ! Il s’accroche à qui l’approche. Un rapide inventaire permet de constater que le système hospitalier et plus largement le secteur de la santé, ayant été patiemment démantelés, ne peuvent- en l’état - faire face. En l’absence d’autres solutions (masques, tests, etc.) le confinement est décidé pour réguler les flux. Dés lors, les soignants – si décriés et parfois matraqués ces derniers temps - deviennent les héros du quotidien. Ce qu’ils sont et ont toujours été.
Et puis progressivement, on découvre, incrédules, qu’il y a toute une chaine de fonctions exercées par des humains, indispensables à la vie de chacun et de tous. Les soignants ont des enfants qu’il faut garder, ils ont besoin de se déplacer et les bus ont besoin de chauffeurs.
Tout le monde a besoin de manger : il faut des producteurs, qui ont besoin de transformateurs, qui ont besoin là encore de chauffeurs, lesquels ont besoin des différentes fonctions nécessaires à l’organisation d’un magasin. Partout, il y a besoin de personnes qui entretiennent les espaces.
Alors, vu de ma fenêtre, quelque chose d’étonnant peut se produire, comme un début de fierté collective (une fierté de classe ?) retrouvée et par ailleurs une envie – qui est aussi un besoin – de re CO naissance sociale. Dans un tout premier temps, beaucoup ont sur joué la consigne de distanciation sociale dans une danse parfois amusante faite d’esquives, de bonds de côté et d’arrêts sur image.
Depuis peu, je constate qu’avec ou sans masque, certains regards se relèvent. La caissière du petit magasin où je fais mes courses, dûment « emballée » de cellophane, me demande si je supporte le confinement et je lui souhaite bon courage. Des inconnus et moi, nous nous saluons, certes de loin mais avec un petit sourire au coin des yeux. Le front c’est bien la communauté des vivants au service de tous et de chacun.
Le retour des invisibles ?
Il reste une ombre à cette histoire et celle-ci n’est pas rendue à la lumière. Elle a l’exact contour de la société où nous vivons : enfants en danger, mineurs non accompagnés, personnes à la rue, familles d’origine étrangère (ou pas) en squat, personnes très précaires en général….
Certains sont hébergés dans ce qui reste des institutions avec des locaux inadaptés, et des personnels en nombre très réduit et sans protection. Ce monde-là craque de toute part.
Tout récemment, je suis appelée par la directrice adjointe d’une structure du champ de l’éducation populaire à qui le Département a confié l’accueil et la mise à l’abri de Mineurs Non Accompagnés. En réalité, la plupart bénéficient aujourd’hui d’une Ordonnance de Placement Provisoire mais restent en attente par défaut de places dans les structures dédiées. Je connais bien l’établissement pour avoir animé une formation autour de l’accompagnement à la professionnalisation depuis Novembre. La situation est extrême. Il y a aujourd’hui une soixantaine de jeunes dans des locaux trop petits et des chambres à deux ou trois. Des remplaçants inexpérimentés ont dû être recrutés et trois cas de Coronavirus sont suspectés. Un confinement collectif (accompagnateurs compris) est en discussion et les salariés sont légitimement en panique. La directrice me consulte pour savoir dans quelle mesure il est possible d’envisager la mise en place d’une cellule de crise ou un dispositif de soutien des salariés. Renseignements pris auprès de mon établissement, j’apprends qu’un nombre important de demandes similaires ont été faites et qu’un dispositif adapté est en cours de création en lien avec l’Agence Régionale de Santé.
Un large spectre du champ de l’action sociale et différents niveaux d’acteurs sont mobilisés, il reste que l’existence même de ces jeunes mais aussi de toutes les personnes appelés parfois ,les « surnuméraires » semble faire partie d’un impensé total (encore) dans le cadre de politiques publiques prolixes en déclarations solennelles d’intention.
Et que dire de ces innombrables situations de misère qui se cachent dans les plis de nos villes ? Pensé en termes de santé publique, le COVID-19 a le dramatique avantage de mettre en lumière qu’un squatteur contaminé existe puisqu’il constitue –comme nous tous – un danger potentiellement collectif. Et il n’est pas nécessaire pour cela d’avoir des papiers !
Aujourd’hui, des citoyens dans une logique de proximité, des associations, des collectivités territoriales et même les préfectures se mobilisent (jeveuxaider.com). C’est une très bonne nouvelle. Il reste que demain, alors qu’on sait qu’une crise économique et sociale mondiale ou encore les effets du dérèglement climatique appellent à repenser totalement notre mode d’être au monde, qu’en sera-t-il ?
La vie humaine est collective, conviviale et solidaire ou elle n’est pas. Et si le texte caché révélé par l’encre sympathique de Maître Corona tenait en cette phrase ?
Bibliographie
Buzyn (Agnès), Investir dans les solidarités pour l’émancipation de tous, Délégation interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes, dossier de presse, 13 septembre 2018.
En ligne : https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/dp_annonce_strategie_v26_pages.pdf
Garibay (Françoise) et Séguier ‘Michel), Pratiques émancipatrices, actualités de Paolo Freire, Sylepse, 2009
Scott (James C), Vacarme 2006/3 (n°36)
https://blogs.mediapart.fr/collectif-illusio/blog/060420/les-rats-de-jean-michel-blanquer