La formation aux métiers du travail social : entre aspirations et injonctions
Marie-Thérèse Savigny, Elodie FaiscaLa formation aux métiers du travail social : entre aspirations et injonctions
La formation aux métiers du travail social: entre aspirations et injonctions
Le travail social, tout comme le secteur de la santé recouvre des métiers, que, à la faveur de la crise sanitaire, il convient de qualifier de première ligne. Depuis 2004, ces deux champs professionnels dépendent d'ailleurs de la même administration : la Haute Autorité de Santé. En plus de son rôle central dans le champ sanitaire, la HAS intervient désormais aussi dans les champs social et médico-social : évaluation des établissements, élaboration de recommandations pour l’inclusion sociale, la protection de l’enfance, l’accompagnement des personnes handicapées et des personnes âgées.
Les deux secteurs ont en commun de revendiquer l'importance de la relation quand, sur fond de réduction drastique des moyens, il leur est demandé de se recentrer sur une approche techniciste et protocolée.
Et tout comme le secteur de la santé, le travail social ne cesse de faire face à des interrogations et parfois à des critiques concernant de multiples dimensions, politique, éthique, pratique, dans un souci, semblerait-il, de comprendre sa fonction, son « utilité » voire même son efficacité. En quête de place, de reconnaissance, mais aussi de sens, il est en effet confronté à de multiples enjeux et, ce, de façon spécifique dans les formations préparant aux métiers de l'action sociale.
En 2015, les États généraux du travail social avaient conduit à l’élaboration d’un rapport portant sur la formation initiale et continue, constituant une base de travail à la réforme des diplômes engagée 3 ans plus tard. Il y a eu tout d’abord des « États Généraux du Travail social » puis un rapport final, le rapport Bourguignon[1]. Il affirmait notamment la nécessité « d’ajouter aux dimensions de protection et de promotion, la dimension du pouvoir d'agir individuel et collectif, afin que l'action sociale soit plus préventive, participative et inclusive ». Le rapport considérait alors que « Les formations sociales sont directement impactées par les évolutions des politiques sociales qui mettent au premier plan les attentes des personnes concernées, la reconnaissance de leurs ressources et de leur pouvoir d’agir, mais également l’intervention collective en lien avec les problématiques des territoires, ainsi que l’importance du travail en réseau et en partenariat ».
En réalité, participation, égalité des chances, responsabilité individuelle sont quelques-unes de ces notions aussi récurrentes que diffuses, mais leurs sens sont-ils réellement (ré)interrogés à l’intérieur du dispositif de formation ?
La participation des étudiants à des initiatives favorisant une réelle co-action et co-décision entre les personnes, les professionnels et plus largement l'ensemble des acteurs concernés est certes favorisée par quelques organismes de formation. On est alors dans une logique réflexive considérant la formation comme un lieu où s'élabore le réel.
Pour autant, ce qui semble prédominer dans les organisations comme dans les appareils de formation est une conception pseudorationnelle qui gère des stocks et des flux, une logique techniciste évaluée à l'aulne de la compétence. Compétences au reste indiscutées quant à leur utilité, leurs fins ou à la vision du monde qu'elles pré-supposent et véhiculent.
Au même moment, l’État se désengage des missions de protection qu’il s’était historiquement fixées : fermeture de lits ou de places d’hébergement dans l’urgence sociale, coupes sombres et/ou menaces sérieuses dans tous les champs de l’intervention sociale dans le même temps où – au nom de l’efficacité, voire de la « qualité » - on observe de multiples réorganisations/fusions des structures dans un contexte de concurrence accrue.
Un autre élément de contexte est la réforme en 2018 de la formation professionnelle. S'il est trop tôt pour en mesurer précisément les effets, cette réforme introduit la notion de Compte Personnel de Formation, provisionnant chaque salarié d'une somme forfaitaire dédiée à la formation – on ne parle plus d'heures – et crée un nouvel organisme appelé France Compétences, dont le rôle central est la ventilation des financements.
L’articulation obligatoire des formations initiales avec les licences universitaires a conduit aux processus parfois complexes et diversifiés de conventionnement entre les EFTS et les universités. Ces changements qui ont dû être opérés à coût constant ont préconisé des modalités de formation qui peuvent sembler peu adaptées à la mission première du travail social qui est le développement des pouvoirs d’agir des personnes et des collectivités.
La formation e-learning préconisée, car souvent moins coûteuse pour les établissements, serait-elle suffisante pour former les étudiant.e.s aux métiers de la relation ? Après l’obtention du diplôme d’état se sentent-ils / elles prête.e.s à aller sur le terrain ? Le modèle de formation basé sur l’alternance et un nombre important d’heures de stage, rassure-t-il les étudiant.e.s quant à leur avenir professionnel ?
La logique de marché s'impose donc et certains centres de formation vont être tentés de favoriser le e-learning permettant des formations moins coûteuses et touchant plus de candidats à la formation. Cette tendance est au reste déjà présente sur le « terrain » : la numérisation systématique des relations entre les personnes et les services sociaux est déjà une réalité, mais s'est considérablement accrue à la faveur de la crise sanitaire alors que les besoins sociaux sont, eux, en augmentation exponentielle.
Qu'en est-il dès lors du pouvoir de penser et d'agir ?
Les premiers numéros de la revue Articulations ont permis d’ouvrir un espace de réflexion autour des notions de « radicalité » en travail social et des « tiers espaces » entre la recherche et l’action.
Dans ce contexte, le numéro 2 propose de réfléchir à la place que peut prendre ou occuper la formation dans ce contexte en perpétuelles transformations sociétales, politiques, économiques, culturelles et juridiques
Cet appel à contributions est ouvert à toutes celles et tous ceux qui concourent, s’impliquent, participent aux réflexions et transformations à l’œuvre dans la formation des travailleurs sociaux, qu’elle soit professionnelle ou universitaire. Ces contributions seront l’occasion de valoriser les différentes expériences en les rendant visibles.
Les contributions attendues concernent essentiellement trois pistes :
- l’analyse des enjeux liés à la formation des travailleurs sociaux au croisement entre l’évolution des questions sociales et l'infléchissement actuel des politiques publiques
- la manière dont les acteurs concernés (secteur professionnel, formateur·e·s, étudiant·e·s, chercheur·se·s, habitants et plus largement usagers du travail social, élus, administrations) s'emparent de ces enjeux
- l'existence et les conditions d'émergence d'initiatives inspirantes émanant des différents niveaux d'acteurs concernés
[1] Extrait du Rapport Bourguignon, Juillet 2015 « La fracture sociale est bien plus liée à l'effritement du corps social plutôt qu'à l'accident de parcours de certains. Dans cette perspective, le développement social, entendu comme une approche territoriale, est une stratégie visant à agir sur l’environnement économique et social des personnes, dans le cadre d’une conception plus globale, qui implique d’ajouter aux dimensions de protection et de promotion, la dimension du pouvoir d'agir individuel et collectif, afin que l'action sociale soit plus préventive, participative et inclusive ».[1]
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Calendrier du numéro
- Soumission des résumés : 19/09/2021
- Retour aux auteurs : 30/09/2021
- Envoi des articles complets : 16/11/2021
- Retour des évaluateurs : 19/12/2021
- Envoi des articles finaux : 06/02/2022
- Publication envisagée : 16/12/2021